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entre la Saint-Barthélémy et 93. Aussi, depuis tantôt deux siècles, les historiens, les publicistes, les économistes, ont-ils insisté tout particulièrement sur ce grand épisode de nos annales. Il est resté pour les protestans le sujet d’une longue et vive polémique, et comme il marque pour eux dans la société moderne l’ère de la persécution et du martyre, ils en ont étudié l’histoire avec une fervente curiosité. Cette étude se rattache à un vaste ensemble de travaux entrepris par les églises réformées sur leurs doctrines et leurs annales, travaux qui depuis quelques années ont été extrêmement féconds. Le mouvement en France a commencé vers 1819 par la fondation de la Société biblique, et depuis lors il ne s’est point ralenti. La Société des Traités religieux, celle des Missions évangéliques, celle pour l’Encouragement de l’instruction primaire, s’établirent successivement de 1821 à 1829, et secondèrent la publication de nombreux ouvrages, parmi lesquels les traductions et les réimpressions des anciens écrivains de la réforme occupèrent le premier rang. Le Mémoire sur la liberté des cultes de M. Alexandre Vinet, les Vues sur le protestantisme en France de M. Vincent, le Musée des protestans célèbres de M. Guizot, sont à peu près les seuls ouvrages originaux et vraiment notables qui sortirent des presses protestantes sous la restauration.

De 1830 à notre temps, le protestantisme a multiplié les preuves de son activité intellectuelle. Tandis que dans la communion catholique on réimprimait les écrivains du moyen âge, qu’on étudiait, pour les faire revivre, l’architecture et l’archéologie sacrées, et qu’on cherchait dans le passé, pour combattre l’indifférence du présent, de grandes leçons et de grands exemples, un mouvement analogue s’accomplissait dans les églises réformées. MM, Alexis Muston. Schmidt, Merle d’Aubigné, Borel. Monastier, Coquerel, Crottet, publièrent, dans l’espace de quelques années, l’histoire des Vaudois, des Cathares, de la Réformation au XVIe siècle, des Pasteurs du Désert, des Églises de Nîmes, de Pons, de Gémozac, etc. M. de Felice fit paraître en 1850 une Histoire des Protestans de France, livre d’une foi sévère et ardente, plein d’onction, éloquent même en plusieurs pages, mais trop évidemment écrit sous l’impression des souvenirs du XVIe et du XVIIe siècle. Enfin M. Weiss vient d’ajouter à cette importante série de travaux un livre qui les complète, et qui éclaire d’une lumière nouvelle l’un des côtés les plus curieux et les moins connus, non-seulement du protestantisme, mais même de notre histoire nationale. Jusqu’ici en effet, la question de la révocation de l’édit de Nantes était restée en bien des points obscure et vague. On savait que l’émigration avait été considérable, mais personne encore n’avait suivi les émigrés dans leur exil ; on savait que leur départ, en appauvrissant la France, avait enrichi les états voisins, mais on n’avait point dressé l’inventaire exact des pertes de notre industrie, des bénéfices des industries étrangères ; en un mot, on n’avait point constaté dans le détait et dans l’ensemble les résultats économiques, politiques et intellectuels de la proscription du XVIIe siècle, par rapport à l’Europe et à la France. C’est la recherche de ces résultats qui fait le sujet du livre de M. Weiss. Protestant très convaincu, mais supérieure cet esprit de secte qui se montre en général plus exclusif encore que l’esprit de parti, l’historien des réfugiés français a gardé dans toutes ses appréciations une équité parfaite ; il a marché toujours en s’appuyant sur des faits et des