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et monta en voiture en criant au cocher : « Palais Orsini. »

L’excès de son malheur la poussait comme malgré elle à voir sa cousine. Elle la trouva au milieu de cinquante personnes. Tous les gens d’esprit, tous les ambitieux de Rome, ne pouvant aborder au palais Campobasso, affluaient au palais Orsini. L’arrivée de la princesse fit événement ; tout le monde s’éloigna par respect ; elle ne daigna pas s’en apercevoir : elle regardait sa rivale, elle l’admirait. Chacun des agrémens de sa cousine était un coup de poignard pour son cœur. Après les premiers complimens, l’Orsini, la voyant silencieuse et préoccupée, reprit une conversation brillante et disinvolta.

— Comme sa gaieté convient mieux au chevalier que ma folle et ennuyeuse passion ! se disait la Campobasso.

Dans un inexplicable transport d’admiration et de haine, elle se jeta au cou de la comtesse. Elle ne voyait que les charmes de sa cousine : de près comme de loin, ils lui semblaient également adorables. Elle comparait ses cheveux aux siens, ses yeux, sa peau. À la suite de cet étrange examen, elle se prenait elle-même en horreur et en dégoût. Tout lui semblait adorable, supérieur chez sa rivale.

Immobile et sombre, la Campobasso était comme une statue de basalte au milieu de cette foule gesticulante et bruyante. On entrait, on sortait ; tout ce bruit importunait, offensait la Campobasso. Mais que devint-elle quand tout à coup elle entendit annoncer M. de Sénecé ! Il avait été convenu, au commencement de leurs relations, qu’il lui parlerait fort peu dans le monde, et comme il sied à un diplomate étranger qui ne rencontre que deux ou trois fois par mois la nièce du souverain auprès duquel il est accrédité.

Sénecé la salua avec le respect et le sérieux accoutumés ; puis, revenant à la comtesse Orsini, il reprit le ton de gaieté presque intime que l’on a avec une femme d’esprit qui vous reçoit bien et que l’on voit tous les jours. La Campobasso était atterrée. « La comtesse me montre ce que j’aurais dû être, se disait-elle. Voilà ce qu’il faut être, et que pourtant je ne serai jamais ! » Elle sortit dans le dernier degré de malheur où puisse être jetée une créature humaine, presque résolue à prendre du poison. Tous les plaisirs que l’amour de Sénecé lui avait donnés n’auraient pu égaler l’excès de douleur où elle fut plongée pendant toute une longue nuit. On dirait que ces âmes romaines ont des trésors d’énergie inconnus aux autres femmes pour souffrir.

Le lendemain, Sénecé repassa et vit le signe négatif ; il s’en alla gaiement ; cependant il fut piqué. « C’est donc mon congé qu’elle m’a donné l’autre jour ? Il faut que je la voie dans les larmes, » dit sa vanité. Il éprouvait une légère nuance d’amour en perdant à tout jamais une aussi belle femme, nièce du pape. Il s’engagea dans les