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ad Matrem, et, pour qui connaît lady Westmorland, c’est tout dire. La supériorité de la mère a empêché qu’on s’étonnât des succès du fils ; mais on a su gré à celui-ci de comprendre si bien à vingt ans les rares qualités d’une personne sur l’excellence de laquelle la société de toute l’Europe était fixée depuis longtemps. En effet, l’amie de Humboldt, de Rauch, de Meyerbeer, de tout ce que l’Allemagne contemporaine a d’illustre ou d’artiste, à commencer par le roi de Prusse, la noble femme que son oncle, le vieux duc de Wellington, admirait, honorait entre toutes, n’a jamais été plus dignement appréciée.

Le positivisme se transforme facilement en frivolité chez les femmes ; c’est pourquoi des exceptions pareilles à celle que j’ai citée ressortent avec tant d’éclat. L’Angleterre a quelques Julie d’Angennes qu’on ne soupçonne pas ici, et dont les portraits feraient une galerie charmante ; mais je suis forcé d’avouer que chez la plupart des femmes anglaises de bonne compagnie on ne découvrirait aucune trace du mouvement intellectuel qui s’est opéré. On en est resté, pour le très grand nombre, à Byron, c’est-à-dire au représentant le plus complet du réalisme, au poète chez qui le personnage est tout. Avec Shelley, au contraire, l’individu disparaît ; tout ce qui est réel le gêne ; il s’en affranchit à chaque instant pour se donner plus entièrement aux choses, aux idées. L’auteur de Prométhée, dont les tendances prennent le dessus aujourd’hui sur celles de Byron, est, pour ainsi dire, toujours en dehors de lui-même. On conçoit ce qu’il a fallu de transformations pour qu’un semblable esprit pût exercer de l’influence en Angleterre ; mais on conçoit aussi qu’arrivant à s’exercer, cette influence soit souveraine : l’ère d’émancipation, qui, en Allemagne, date des philosophes d’il y a soixante ans, n’a pu être inaugurée chez les Anglais que par les poètes. Ce mouvement s’étendra-t-il jamais plus loin ? C’est là une grave question qu’il n’est pas temps encore d’aborder.


ARTHUR DUDLEY.