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mode en Angleterre avec ceux d’un dandy parisien, et je doute que notre amour-propre national soit fort satisfait de l’épreuve. On se fourvoie encore étrangement ici dans le jugement qu’on porte des Anglais, et surtout en leur attribuant, en leur empruntant même des travers et des ridicules qu’ils n’ont plus depuis cinquante ans. À dater du jour où a cessé le règne du cant, où l’Anglais véritable, le vrai Saxon, a été non-seulement rendu à lui-même, mais a osé se l’avouer, — à dater de ce jour, une transformation s’est opérée dans la société anglaise. Pour apprécier cette transformation, il faut peut-être appartenir à la société anglaise et en vivre séparé. Si on ne la quittait jamais, on subirait trop les influences qui la régissent pour pouvoir les constater. Si on ne la revoyait quelquefois, bien des nuances passeraient inaperçues. Dans l’opinion que l’on se fait d’un individu, on se laisse ordinairement beaucoup trop impressionner par le présent, c’est-à-dire par une foule d’accidens extérieurs qui ne sont que des modifications passagères et ne révèlent absolument rien sur le fond du caractère, tandis que, s’il s’agit de juger une nation, c’est le procédé contraire qu’on adopte. On se laisse guider par le passé, et l’on juge un peuple non point d’après l’idée qu’on s’en fait, mais d’après celle qu’on s’en est faite. Que d’anachronismes se commettent ainsi, que de préjugés s’enracinent ! Je n’en connais, pour ma part, aucuns qui se puissent comparer aux erreurs d’appréciation échangées entre la France et l’Angleterre, erreurs, je dois le dire cependant, infiniment moins fréquentes de l’autre côté du détroit. À l’égard des Anglais, on en est encore ici au puritanisme, au shocking tempéré par l’excentricité. Le type conventionnel dure toujours, et l’Anglais tel qu’il est maintenant, — affranchi de tout préjugé, enthousiaste, ardent et sérieux à la fois, arrivant (à l’inverse des races méridionales) au sentiment du beau par la passion du vrai, — l’Anglais qui aujourd’hui a vingt-cinq ans, l’Anglais de l’ avenir, est entièrement ignoré en France. On ne le connaît, comme ses auteurs, que par traduction ; on ne le lit pas dans sa langue.

Il y a longtemps qu’en fait de politique on sait tous les malheurs qu’ont évités à l’Angleterre le bon sens et la droiture de son aristocratie, il y a longtemps qu’on est habituée à la voir conduire les affaires de l’état sans préoccupation de caste ; il en est de même à l’heure actuelle pour la littérature, et nulle part on ne trouvera des idées plus libérales, plus larges que dans des livres portant sur leurs titres des noms comme ceux de Manners, de Russell, de Ponsonby, de Leweson Gower. Tous, quelle que soit la mesure de leur talent, tendent au vrai, et, si je ne me trompe, ceci vaut la peine d’être constaté. Si le mouvement général actuel des esprits en Angleterre est une chose intéressante à suivre, il n’est certes pas moins curieux de voir quelle