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par portions égales. La hure seule appartient à celui qui a abattu la bête. Dans un rayon d’une lieue autour de Puzzichello sont répandues quelques cabanes de bergers dont les chiens à oreilles droites et à longs poils servent à la fois de meute et de limiers.

Les cabanes de ces pasteurs sont construites de quelques pieux fichés en terre, sur lesquels on établit un lit de bruyères et de cistes ; on recouvre le tout d’une couche de terre de façon à intercepter tout à fait la circulation de l’air. J’ai vu de ces cabanes qui contenaient des familles de sept ou huit personnes. Le feu est placé devant la porte qui sert en même temps de cheminée. Lorsqu’on approche la nuit de ces chaumières, on peut voir aux clartés du feu les têtes de tous les habitans entassés comme des cadavres sur leur lit de paille et couvrant tout le sol de la cabane. Le petit cheval, s’ils en ont un, est entravé à quelques pas de là. À côté de l’habitation, une cave grossièrement construite sert à enfermer les fromages. Les bergers s’appellent entre eux au moyen de ces cornets dont nous avons déjà parlé, formés d’une corne de bœuf ou d’une coquille percée par les deux bouts ; le son doux et monotone de ces trompes s’entend à des distances énormes.

C’est dans l’intimité de ces paysans et de ces bergers que nous avons passé trois semaines à Puzzichello. Nos premières chasses avaient été heureuses, pour nos compagnons du moins ; car pour notre part, nous ne brûlions notre poudre qu’aux renards. Les bergers ne s’en plaignaient pas, et je les soupçonne de nous avoir fait plus d’une fois chasser le renard sous prétexte de sanglier. Ici, où il n’y a pas de loups, les renards se donnent l’agrément d’emporter les petits agneaux. Quand on a passé deux ou trois heures, la main crispée et les yeux fixés sur un sentier, il n’est pas gai de se trouver en face de ce misérable gibier : mon ami et moi, nous en savions quelque chose.

Comme nous nous plaignions à Bourrasque de nos déconvenues, il nous conseilla une chasse à l’affût. Il alla reconnaître le pays pendant le jour, et le soir il nous conduisit au fond d’un ravin où il nous embusqua derrière des fourrés, après avoir enveloppé nos souliers dans des peaux de renard, pour tromper l’odorat du sanglier. Il avait eu soin de nous poster de façon à ce que le vent ne nous trahit pas. Nous étions placés tous trois sur la même ligne, de dix pas en dix pas. Devant nous s’ouvrait une clairière où la lune traçait un cercle lumineux. Nous demeurâmes ainsi plus de deux heures. Il faisait froid, et je commençais à perdre patience, quand à l’extrémité du cercle lumineux je vis passer l’ombre d’un sanglier qui marchait avec précaution, écoutant, s’arrêtant à tous les pas. Il était arrivé sans que le moindre bruit nous révélât sa marche. Il était à l’extrémité de