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pour aller faire une excursion au bord du Taravo. Pour la première fois, nous eûmes l’occasion d’une de ces chasses que nous avions entrevues en espérance à travers les brumes de la Méditerranée. Les perdrix pullulaient dans les maquis, et les canards le long des marais. En traversant une jachère, entre deux fourrés, je vis de loin mon chien, le nez au vent, la queue tendue et les yeux fixés sur un petit buisson qui occupait à peine la surface d’un mètre. Je m’approchai lentement, je fis le tour du buisson, je me baissai presque à fleur de terre, croyant surprendre un lièvre au gîte. Le buisson demeura impénétrable, et le chien immobile. Enfin, impatienté de cette longue recherche, je plongeai dans le massif le canon de mon fusil ; une perdrix en jaillit de l’autre côté ; pendant que je l’ajustais, une seconde prit son vol, et j’en vis sortir ainsi plus de douze les unes après les autres. Quand le gibier tient l’arrêt avec cette fermeté en plein hiver, on peut juger de la joie des chasseurs et de la fortune de la journée. Nous fîmes tant et si bien, que la nuit nous surprit au bord du Taravo à quatre ou cinq heures d’Olmeto.

Au lieu de retourner au village, nous prîmes le parti de passer la nuit dans une cabane en planches où s’abritaient quelques scieurs de long. Notre gibier fit les frais du souper, et les habitans du lieu partagèrent honnêtement avec nous leur lit de paille et leurs couvertures de laine. Le trajet du Taravo à Olmeto nous offrit plus d’une occasion de recommencer nos prouesses de la veille. Nos hôtes avaient mis à notre disposition un petit cheval qui nous soulagea du poids de nos carniers, et nous revînmes au village, rapportant une balle pleine de canards et de perdrix ; mais, hélas ! personne ne nous attendait au seuil de la maison pour nous souhaiter la bienvenue. Il n’y avait là ni maîtresse de maison, ni amis pour fêter notre glorieux retour : nous rentrâmes aussi obscurément que si nous n’avions tué qu’un moineau, et pour comble de disgrâce il n’y avait pas de broche. On fit sauter nos perdrix à la poêle. Nous pûmes prévoir ce jour-là qu’un des grands plaisirs du chasseur, la gloriole du retour, allait nous manquer pendant tout notre voyage. N’importe, nous partîmes d’Olmeto plus rassurés, et nous côtoyâmes le beau golfe de Propriano jusqu’à la vallée pittoresque au fond de laquelle coule le Valinco. À mesure que nous approchions de Sartène, les coteaux dépouillaient leur parure sauvage ; leurs flancs étaient coupés de vignes et de champs de blé ; nous vîmes bientôt au-dessus de la vallée la ville assise sur un des ressauts de la montagne.

Sartène est plutôt un bourg qu’une ville : elle jouit pourtant d’une célébrité justement acquise. C’est l’arrondissement de la Corse qui fournit les plus belles vendette. Ceci ne doit point être pris en mauvaise part. Les contrées sauvages où la vendetta s’est montrée le plus