Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant d’épouser lord Evandale. Allégresse générale, chœur ; la toile tombe.

Que pouvait faire M. Halévy de cette donnée ? Quel parti pouvait-il en tirer ? Sa science n’est mise en doute par personne. Plusieurs fois même, dans l’Eclair, dans le Val d’Andorre, dans la Fée aux Roses, il a fait preuve d’invention ; mais, en présence d’une donnée pareille, il ne pouvait que multiplier les prodiges de l’escamotage, et c’est ce qu’il a fait. N’ayant pas de situations dramatiques, il s’est évertué à dissimuler l’absence d’émotion sous l’élégance et la variété des vocalises. L’ouverture semblera peut-être un peu prolixe, étant donné le nombre des thèmes ; peut-être les instrumens à anche reprennent-ils avec trop de complaisance les idées exposées par les instrumens à cordes ; peut-être les cuivres abusent-ils à leur tour du plaisir de répéter ce que les instrumens à anche ont déjà redit. Cependant il y a dans cette ouverture une délicatesse de style que je ne veux pas contester. Je n’ai guère à noter dans le premier acte qu’un morceau très applaudi, qui rappelle heureusement Ma Tante Aurore. Je ne m’arrêterai pas à relever la richesse des rimes accouplées par MM. Scribe et Saint-Georges ; sympathie et envie sont des rimes très suffisantes pour l’Opéra-Comique. Ce souvenir de Boïeldieu a mis en belle humeur tous les habitués du théâtre. Ils se croyaient revenus au temps de Martin et d’Elleviou, et leur bonheur, je le confesse, avait quelque chose d’expansif et de contagieux. À voir leur mine épanouie, je me sentais pénétré d’une douce moiteur. Au second acte, nouvelle surprise, nouveau plaisir. Sir Arthur, en pénétrant dans la manufacture de tabac, ne peut résister aux émanations sternutatoires de la maison ; il ne manque pas d’éternuer, et lady Evandale à son tour, en femme qui a fréquenté avec fruit le théâtre du Palais-Royal, ne manque pas de lui répondre : « Dieu vous bénisse ! » Le duo de l’éternuement a obtenu un plein succès, je me hâte de le reconnaître. C’est le morceau capital du second acte. Au troisième acte, nous sommes dans une maison de plaisance qui appartenait à lord Melvil, et que lord Evandale vient d’acheter, car lord Melvil s’est ruiné. Craignant de ne pouvoir épouser sa chère Dora, lord Evandale a voulu du moins la mettre à l’abri du besoin, et lui a donné par acte notarié, sur papier vif, le domaine de lord Melvil. Au moment où Dora supplie son oncle Toby de lui apprendre un air de chasse gallois qui jouit dans le pays d’une très grande célébrité, survient pour la seconde fois lady Evandale.

Heureusement Cliffort emmène sa femme, et le nabab épouse Dora. Qu’y a-t-il, me direz-vous, dans ce troisième acte pour la musique ? Votre question m’étonne, et me semble par trop ingénue. Ne prévoyez-vous pas d’abord un chœur de paysans accueillant le nouveau seigneur ? M. Halévy n’a pas négligé cette condition élémentaire du sujet. Mais le morceau capital, c’est l’air de chasse gallois. Il est malheureusement trop vrai que M. Halévy n’a oublié qu’une seule chose : c’est de trouver l’air gallois, car cet air, de l’avis même de ses plus fervens admirateurs, est encore à trouver. Enhardi sans doute par le succès qu’avait obtenu aux répétitions le duo de l’éternuement, il a cru pouvoir masquer la nullité complète de la mélodie, tout à fait imaginaire, dite une première fois par l’oncle Toby et répétée par Dora, sous les jappemens du chœur. Jappemens ou aboiemens, peu importe. Cependant je dois dire que tous les auditeurs habitués aux cris de la meute en forêt