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OPERA-COMIQUE,
LE NABAB.

La fable imaginée par MM. Scribe et Saint-Georges est d’une ingénuité qui défie toute définition, il est impossible en effet d’imaginer une action plus innocente, plus digne de Florian et de Berquin que l’action qu’ils ont appelée le Nabab. Je ne les chicanerai pas sur le titre qu’ils ont donné au héros de la pièce : ce serait mie montrer trop difficile. Jusqu’à présent, nous avions cru qu’un nabab était un négociant indien enrichi par le commerce. Vous dire comment un nabab est devenu entre les mains de MM. Scribe et Saint-Georges lord Evandale serait impossible. La reine Victoria peut élever au titre. de baronnet ou de lord qui bon lui semble ; : mais jusqu’à présent la richesse n’a pas été considérée comme un droit suffisant. Donc ce nabab, pourvu ou non du titre de lord, s’ennuie à périr et veut se tuer. Un de ses amis, médecin très intelligent, lui donne contre l’ennui et la tentation du suicide une recette excellente, le travail. Clifford, c’est le nom du médecin, ne demande à son client qu’un sursis d’une année. Si la recette ne le sauve pas, lord Evandale sera libre de se tuer. Il faut savoir que lady Evandale, connue au théâtre sous le nom de Corilla, est le type achevé du caprice et de la rébellion. Il suffit que son mari souhaite une chose pour qu’elle souhaite le contraire. Au moment où lord Evandale se prépare à se tuer, arrive une jeune personne du nom de Dora. Réduite au désespoir par le dénûment, elle vient implorer la bienfaisance de lord Evandale, qui, tout entier à ses projets de suicide, l’envoie à tous les diables. La jeune fille, épouvantée de sa brusquerie, s’évanouit. Lord Evandale, en véritable héros d’opéra-comique, profite de son évanouissement pour déposer sur son tablier un bon de mille livres sterling. Héroïque générosité qui ne restera pas sans récompense ! Lord Evandale part, pour l’Europe avec la ferme résolution de suivre la recette de Clifford, abandonnant lady Evandale aux soins de sir Arthur, son cousin. Arrivé en Europe, il devient ouvrier, puis contre-maître, dans une manufacture de tabac du comté de Galles. Or maître Toby, le chef de cette manufacture, est précisément l’oncle de Dora. Naturellement Dora devient amoureuse de lord Evandale, qui a déguisé son titre et son nom ; plus naturellement encore, elle ignore que son bienfaiteur est marié. J’oubliais de dire que Clifford, en ami dévoué, a résolu de n’envoyer à son client que cent livres sterling par an, environ six francs par jour, et son client avait un revenu de cinquante mille livres sterling ; mais il fallait exécuter la recette dans toute sa rigueur. Maître Toby, en apprenant l’amour de sa nièce pour l’ouvrier nouveau-venu, s’emporte à bon droit. Il rend pleine justice aux vertus du nabab déguisé, mais il ne consentira jamais à lui donner la main de sa nièce. Cependant Dora réussit à fléchir son oncle. Elle va épouser son bienfaiteur, lorsqu’arrive lady Evandale : péripétie émouvante qui attendrit tous les spectateurs ! Les deux amans seraient condamnés à une infortune éternelle, si Clifford, ange gardien de son client, ne tranchait le nœud gordien, car cette maudite Corilla, dont la vie n’est pas bien connue, était la femme de Clifford