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raconte que ce fut d’eux qu’il apprit l’art de peindre les paysages. Jean Schorel, « le flambeau de la Hollande, » son élève Martin Heemskerk, Henri Goltzius, plus tard les deux Jordaens, les deux Van Mieris, Karel Dujardin et bien d’autres se sont formés et ont séjourné longtemps à Venise.

Il existe un autre art dans lequel les Hollandais ont excellé longtemps, c’est l’art de l’imprimerie, inventé, suivant un récit populaire, par Coster de Harlem. Des Hollandais publièrent les premiers ouvrages imprimés à Venise et en Italie. Nicolas Pieters de Harlem publia en 1470 un livre à Padoue, et un autre, à Vicence l’année suivante. Deux autres imprimeurs néerlandais, Dirk de Rynsboug et Reynold de Nimègues, firent paraître à Venise trentre-quatre ouvrages depuis 1477 jusqu’à 1491. On rencontre encore à la même époque les noms de plusieurs éditeurs hollandais qui imprimaient déjà au XVe siècle les œuvres classiques de l’antiquité : Horace, Virgile, Lucain, Perse, Pline, Josèphe, les Institutes et les Pandectes de Justinien. Les travaux de saint Thomas d’Aquin, d’Albert le Grand et de Pétrarque virent également le jour par leurs soins. Les célèbres bibliothèques de Venise attiraient l’attention des savans néerlandais ; Gansfort, Agricola, Erasme, y préparaient la restauration des lettres grecques et latines. Ce fut dans la bibliothèque de Saint-Marc que le chancelier de Philippe II, Viglius ab Aytta, découvrit la paraphrase grecque des Institutes de Justinien.

Lorsque Guillaume le Taciturne, pour récompenser les bourgeois de Leyde de l’héroïque défense de leur ville, la dota d’une université, il y appela Jos. Scaliger, issu d’une des plus nobles familles vénitiennes. C’est à l’école de Padoue que se formèrent les professeurs les plus illustres de la nouvelle université. Bientôt l’éclat de l’école de Leyde se répandait au loin, et la supériorité de l’enseignement, l’affluence des étudians de tous les pays lui assuraient une place à côté de celles de Padoue et de Bologne ; Enfin les poètes néerlandais ne se lassaient pas de chanter la ville des doges, ses institutions et ses faits d’armes, tant en latin que dans la langue nationale. Daniel Heinsius, dans ses Odes latines, l’appelle la « reine des mers, la foudre de l’Italie, les délices du monde. » Son fils, Nicolas Heinsius, célèbre en vers savans l’alliance des deux républiques ; Barlaeus et Scriverius tracent le parallèle de Venise et de Amsterdam ; Pierre Francius, dans la langue et le style de Virgile, chante la conquête de la Morée. Les coryphées de la poésie nationale du XVIIe siècle, Hooft, Cats, Hoogstraten et Vondel, avaient les regards fixés sur la reine de l’Adriatique. Vondel surtout, le « divin » Vondel chantait l’illustre domination des Vénitiens, leurs victoires sur les Turcs, et appelait la chrétienté au secours de Candie menacée. En traçant de nos jours le parallèle historique de Venise et d’Amsterdam, M. de Jonge n’a fait, on le voit, que rester fidèle a cette tradition nationale. Son livre est un dernier témoignage des rapports qui unirent les deux républiques, et un document curieux, à plus d’un égard, sur l’histoire générale de l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles.


J. BERGSON.