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plus éloignées. Les Hollandais arrivaient alors à Venise par Cologne, Augsbourg et le Tyrol, pour y acheter les produits du Midi. À cause de l’insécurité des routes, ils se réunissaient en grandes caravanes et établissaient, chemin faisant, une espèce de commerce d’escales. Ce commerce leur offrait des profits si considérables, qu’ils continuèrent à suivre la route d’Allemagne jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Les navires vénitiens venaient, de leur côté, chercher à Bruges et à Anvers les produits des riches fabriques flamandes et les objets qu’y apportaient les armateurs anséatiques. À la suite de la prise, d’Anvers par le duc de Parme, les principaux habitans émigrèrent de cette ville et s’établirent en grand nombre à Amsterdam. Ils y furent précédés par les Juifs chassés d’Espagne et du Portugal. Ce furent ces émigrés, les derniers surtout, qui, ayant gardé de nombreuses relations dans l’Orient, expédièrent les premiers arméniens hollandais dans la Méditerranée et jetèrent les fondemens du commerce du Levant, devenu célèbre. Les Juifs portugais d’Amsterdam possédaient une grande partie des fonds publics de Venise et étaient les intermédiaires de toutes les opérations de change entre les deux villes. Ces rapports commerciaux prirent un grand essor depuis la victoire remportée par Heemskerk près de Gibraltar, qui avait fait respecter le pavillon néerlandais dans toute la Méditerranée. Ils atteignirent leur apogée lors du traité de paix de Munster ; la guerre de trente ans, qui désolait l’Allemagne, en favorisait beaucoup le progrès. Les navires hollandais apportaient à Venise les blés, les toiles, les matériaux de constructions navales et les produits des Indes. Après avoir déchargé leurs cargaisons, ils s’y affrétaient souvent au gouvernement ou aux particuliers, et se rendaient à Alexandrie et dans d’autres ports du Levant, protégés par leur pavillon contre les attaques des corsaires turcs et barbaresques. Les navires des Vénitiens avaient cessé alors presque entièrement de franchir le détroit de Gibraltar, et leur commerce avec les Pays-Bas était devenu tout à fait passif ; ils avaient peu de produits à leur offrir en échange de ceux qu’ils recevaient. Les guerres des Pays-Bas avec la France et l’Angleterre, qui livraient la Méditerranée aux incursions des pirates barbaresques, l’importation des soies de Chine, l’introduction en France de l’industrie des soies, dont Venise avait fait son principal objet, — d’autres causes enfin amenèrent successivement le déclin des relations commerciales et maritimes des deux pays.

Le tableau des rapports qui, au point de vue de l’art et des lettres, existaient entre la Hollande et Venise offre plus d’un trait curieux. Une frappante analogie rapproche l’ancienne école hollandaise de l’école vénitienne. L’imitation fidèle de la nature, le goût des scènes simples et journalières de la vie, une grande vérité de coloris, les distinguent au même point. Dès que la renommée de l’école fondée par Titien, Bassano, Tintoret et Paul Véronèse pénétra en Hollande, les peintres hollandais affluèrent en masse à Venise. Titien en recueillit plusieurs chez lui, notamment Dirk Barentsz et Corneille Cort[1]. On raconte que ceux-ci et deux autres jeunes peintres hollandais l’aidaient dans la composition de ses plus grandes toiles. Une autre tradition

  1. M. H. Delaborde, dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1850, fait un juste éloge de Cort comme graveur.