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viendraient après lui : nous avons nommé le Glossaire grec et le Glossaire latin. Conçus sur le même plan, exécutés avec la même sagacité divinatrice, ces deux ouvrages, qui n’avaient point de modèles et qui sans doute ne seront jamais surpassés, résument à la fois toute la science de Du Cange et tout le moyen âge. Leur mérite est égal ; mais, par sa parenté plus intime avec notre race néo-latine, le Glossaire latin devait être et a été en effet plus usuel et plus populaire. Ce glossaire s’ouvre par une préface dans laquelle l’auteur trace à grands traits l’histoire de la langue latine dans sa décadence, tout en côtoyant celle de la langue française dans sa formation. Du Cange, suivant sa méthode habituelle, épuise le sujet, et, s’il laisse quelques recoins obscurs, c’est qu’il est impossible de les éclairer. Les philologues modernes n’ont rien ajouté à cette œuvre unique et définitive à la fois, et tout ce que l’on a dit depuis sur l’universalité de la langue française et son ascendant en Europe se trouve exprimé là avec une clarté et une abondance de preuves vraiment extraordinaires.

Un catalogue biographique et bibliographique de cinq mille auteurs de la basse latinité s’ajoute à la préface, et enfin dans le glossaire se trouvent réunies cent quarante mille explications diverses de mots pris chacun dans leurs acceptions les plus variées. Au seul point de vue lexicographique, un semblable travail suffirait à la gloire d’un homme, puisqu’il offre la reconstitution d’une langue que sa décadence a pour ainsi dire complètement renouvelée, et sur laquelle aucun travail analogue n’avait été entrepris jusqu’alors ; mais ce n’est encore là que le moindre mérite du glossaire, car ce livre ne donne pas seulement le sens des mots, il donne aussi le sens intime des choses. C’est une véritable encyclopédie où l’auteur recueille sur tous les points importans, et toujours en s’appuyant sur l’autorité des documens contemporains eux-mêmes, tous les éclaircissemens désirables. Substituez à l’ordre alphabétique, que l’auteur du reste ne paraît avoir adopté que pour rendre l’usage de son livre plus commode et plus prompt, l’ordre logique des matières, et vous vous trouverez tout à coup posséder sur ce sujet une série de dissertations dont la plupart resteront le dernier mot de la science historique, comme elles en sont aussi la première révélation. Montesquieu disait de Tacite qu’il abrégeait tout, parce qu’il voyait tout. On pourrait dire avec autant de raison de Du Cange qu’il savait tout, parce qu’il avait tout lu, historiens, romanciers, poètes, historiographes, livres liturgiques, lois, coutumes, les textes imprimés comme les textes inédits. Le premier, il fait servir à l’histoire des mœurs et des arts ces registres de comptes dont on a tant usé depuis ; le premier, il tire des archives des villes le droit municipal, le droit féodal des alleux et des terriers, le costume des miniatures et des médailles. Au mot communia, vous trouverez, avec les noms des villes affranchies dans le grand mouvement d’émancipation du XIIe siècle, la complète exposition de notre ancienne organisation communale. Les mots fiefs, serrage, suffiront à vous initier à tous les secrets de la féodalité ; il en sera de même des mots monnaie, duel, jugement de Dieu, etc. Du Cange a tracé toutes les grandes lignes, il a moissonné ; nous glanons, et quand nous avons, sur ses vastes domaines, recueilli notre gerbe, nous oublions trop souvent que c’est à lui que nous la devons. L’industrie, le commerce, l’art militaire, la chevalerie, le costume, les mœurs,