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songé jusqu’alors à étudier et à expliquer ces deux idiomes, l’un dans sa décadence, l’autre dans sa formation. Un grand nombre de leurs mots étaient munies oubliés, et en cessant de les parler, on avait cessé de les comprendre. La chronologie, la numismatique, l’archéologie, la paléographie, la géographie du moyen âge, n’existaient pas et n’étaient même pas soupçonnées. On avait des mémoires, des chroniques ; mais aucun travail de généralisation n’avait été entrepris, et les documens dont l’histoire positive pouvait s’autoriser se trouvaient perdus au milieu des fables. Les légendes frappaient de suspicion les écrits de la plupart des écrivains ; en un mot, tout était à créer, les recherches, la mise en œuvre, la critique et la philosophie. Par une de ces illuminations qui n’appartiennent qu’aux hommes vraiment supérieurs, Du Cange, sans se rendre exactement compte de la portée de ses intentions, conçut le projet de chercher pour l’histoire du moyen âge cette méthode, ce nouvel instrument que Bacon et Descartes cherchaient pour les sciences et la philosophie. Il les trouva dans l’analyse, comme ces grands penseurs les avaient trouvés dans l’observation, et, comprenant dès l’abord que tout se touche et s’enchaîne dans la vie des peuples, il aborda l’étude du moyen âge dans son ensemble, par les faits, la langue, les lois, les mœurs, les monumens, les croyances, la littérature. Quand on sait par expérience ce qu’il en coûte de temps et d’efforts pour élucider la question la plus simple en apparence, quand on sait combien sont grandes souvent en présence des vieux textes les difficultés de la lecture, et quand on songe au nombre infini de documens que Du Cange a consultés, qu’il a soumis le premier aux vérifications de la critique, on est effrayé de la grandeur d’un tel projet, et l’on a peine à comprendra que la vie d’un seul homme, quelque longue qu’elle soit, ait pu suffire aux détails matériels de cette œuvre immense et à plus forte raison à sa synthèse philosophique.

Les travaux de Du Cange, imprimés ou inédits, peuvent se ranger on quatre classes distinctes : 1° histoire universelle du moyen âge en Europe ; 2° histoire générale et particulière de la France ; 3° histoire byzantine ; 4° miscellanées érudites. La première de ses nombreuses publications fut, en 1657, celle de l’Histoire de l’empire français de Constantinople, qui marque le point de départ de ses études sur l’Europe orientale et la Terre-Sainte, études qui se complétèrent successivement par des éditions annotées de divers écrivains byzantins, les Familles bysantines, Constantinople chrétienne, les Principautés d’outre-mer. Ce dernier ouvrage comprend l’histoire des trois royaumes latins de Jérusalem, d’Arménie et de Chypre. C’est cette dernière histoire dont la rédaction définitive et la continuation ont été confiées à M. de Mas-Latrie, et qui se réimprime en ce moment à la bibliothèque impériale. Le Glossaire grec du moyen âge complète cette vaste série de travaux. Tout en se faisant l’éditeur des écrivains originaux, Du Cange supplée comme toujours à leur silence ; il les commente, les rectifie, les complète, et, sous les titres les plus modestes, il reconstitue l’histoire des croisades, du royaume de Jérusalem et de ses quatre baronnies, Jérusalem, Tripoli. Edesse, Antioche, — du royaume de Chypre et d’Arménie et de la Syrie sainte. Par le Familles normandes, il retrace la conquête de la Pouille, de la Calabre et de la Sicile. Par le Glossaire, il reconstitue la langue, les usages, la chronologie,