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300 millions. Résistera-t-il à la tentation de le faire valoir ? Non, sans doute : il pourra sans inconvéniens élever la somme des avances qu’il fait au commerce ; il sera modéré s’il ne la porte qu’à 600 millions. Ce n’est pas tout : les 200 millions déposés dans les coffres de la banque ne servent pas moins aux transactions ; ils y sont représentés par des mandats que les propriétaires tirent sur la banque, mandats transmissibles de mains un mains et payables à vue, comme les billets au porteur. Ainsi, dans l’hypothèse où nous nous plaçons, la circulation, c’est-à-dire l’ensemble des facilités offertes au commerce, comprend d’une part 200 millions en billets de banque et d’autre part 200 millions en mandats ou récépissés fonctionnant comme des billets ; total : 800 millions. En pareil cas, l’argent surabonde. On surexcite l’industrie ou la commanditant, le commerce en abaissant le taux des escomptes, les affaires débourse en prêtant sur nantissemens de valeurs ; en un mot, il y a expansion. Mais survient une circonstance telle que les capitalistes ont intérêt à reprendre les fonds déposés gratuitement, soit en vue d’un placement lucratif à l’intérieur, soit pour les faire valoir à l’étranger. 100 millions en espèces sont ainsi relues et exportés. La banque, dont l’encaisse disponible se trouve réduit à 200 millions, est obligée de restreindre proportionnellement les émissions de son papier : elle les abaisse, à 400 millions. Ainsi les moyens de crédit, amoindris par le retranchement de 200 millions en billets et 100 millions en mandats, tombent tout à coup à 800 millions à 500. Alors il faut élever le taux des escomptes afin de les restreindre : il faut même parfois créer des embarras au commerce, afin de modérer cet essor qui l’emporte à l’étranger avec les capitaux d’emprunt : il y a contraction ; quand la contraction est trop brusque et trop violente, elle dégénère aisément en crise commerciale.

La théorie que nous venons de résumer va nous faire comprendre ce qui se passe en Angleterre, et comment l’état du money-market réagit actuellement sur la place de Paris.

Au commencement de l’année dernière, l’or arrivait abondamment de l’Australie et de la Californie, au moment même où l’appréhension d’une guerre générale suspendait en Europe les opérations à longs termes, inactif et craintif, il alla comme d’habitude se réfugier provisoirement dans les coffres de la Banque d’Angleterre. Du mois de mars au mois d’août 1852, les dépôts, tant publics que particuliers, s’élevèrent communément à 460 millions de francs. En même temps, la somme des billets émis par la banque était rarement inférieure à 750 millions. Les réservoirs du crédit étaient donc riches à plus de 1,200 millions, ressources bien supérieures aux besoins réels du moment, il y eut engorgement de capitaux : l’argent fut offert à bon marché. Provoquée par la concurrence que lui faisaient les autres capitalistes, la banque fut forcée d’abaisser à 2 pour 100 le taux de ses avances. Cette libéralité, coïncidant avec les assurances solenelles données en France pour le maintien de la paix, surexcita au plus haut degré le génie entreprenant de nos voisins. La spéculation britannique ne se contenta pas d’accélérer le mouvement industriel à l’intérieur ; elle déborda de toutes parts ; elle communiqua sa propre fièvre à d’autres nations fort disposées d’ailleurs à la contracter. Jalouse des résultats obtenus par les Américains on Californie,