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diverses populations chrétiennes de la Turquie, de publications nombreuses ; il est curieux d’y rechercher l’effet produit sur les chrétiens d’Orient par l’attitude du gouvernement russe. En définitive, la stabilité du pays dépend de l’obéissance de ces populations. Le jour où elles auraient pris le parti de repousser la domination turque les armes à la main, la tâche à laquelle on soupçonne la Russie de viser serait singulièrement simplifiée. La Turquie d’Europe, on le sait, est habitée presque exclusivement par des chrétiens ; les musulmans ne sont que dans la proportion de 1 contre 6 ; dans quelques provinces même, comme la Serbie, ils sont presque imperceptibles, et en Moldavie ainsi qu’en Valachie l’on n’en rencontre pas un seul. Une insurrection des chrétiens sur un point quelconque de la Turquie d’Europe causerait donc aux Osmanlis de terribles embarras ; et si une pareille tentative se généralisait, elle mettrait leur existence politique en péril. S’ils n’ont pas jusqu’à ce jour couru de plus grands dangers, c’est qu’à aucune époque les chrétiens n’ont su agir de concert dans leurs insurrections, et qu’au lieu de s’entr’aider dans ces momens de crise, ils ne songeaient qu’à se contrecarrer. C’est ainsi, pour ne rappeler qu’un seul exemple, que les Serbes sont restés absolument indifférens pour le soulèvement de la Grèce en 1821, et que les Valaques l’ont combattu de toutes leurs forces à l’heure même où Ypsilanti essayait de se former une armée sur leur territoire. Les dispositions des chrétiens sont-elles aujourd’hui ce qu’elles étaient alors ? Comment envisagent-ils les événemens qui depuis six mois se passent sous leurs yeux, et dont ils sont le prétexte ? Sont-ils animés d’un vif désir de rompre tout lien avec la Turquie, et sont-ils aussi jaloux de leurs privilèges et de leurs immunités religieuses qu’une grande puissance voisine affecté de l’être pour eux ?

Nous n’hésiterons pas à répondre négativement. À plusieurs reprises, nous avons montré, par des écrits publiés en Orient que les chrétiens ne songent pas à la destruction de l’empire ottoman, parce qu’ils comprennent admirablement que, si une pareille catastrophe arrivait aujourd’hui, ils pourraient bien en être les premières victimes. Les Serbes, les Bosniaques, les Albanais, les Bulgares eux-mêmes, quoiqu’ils aient plus à se plaindra que les autres de l’administration ottomane, trop peu intelligente à leur égard ; pensent comme que les Grecs sur les conséquences éventuelles d’une chute précipitée de l’empire turc. Les Moldo-Valaques seraient-ils plus désireux de s’affranchir de la domination ottomane ? Plus rapprochés de la Russie, auraient-ils plus de penchant à seconder ses vues ? Ce serait une erreur de le penser. Bien qu’il y ait dans les principautés quelques familles puissantes, les phanariotes en particulier, pour qui l’annexion à la Russie est un but depuis longtemps poursuivi, la masse des boyards du clergé, de la bourgeoisie et du peuple redoute une pareille éventualité. C’est ce sentiment qui perce dans un écrit publié récemment sous le titre de Dernière Occupation des principautés danubiennes par la Russie, et qui sort évidemment d’une plume valaque. Cet écrit renferme des considérations pleines d’intérêt sur la situation des principautés et sur leur attitude vis-à-vis du protectorat que la Russie présente aux autres populations chrétiennes comme le bonheur qu’elle a rêvé et préparé pour elles. L’écrivain valaque prouve sans peine que le droit peut fournir des argumens irréfragables à ses concitoyens contre toute prétention