Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à certains points de vue un talent remarquable ; mais, — l’auteur lui-même l’avoue et ses ouvrages le disent assez, — c’est un réaliste ; et ce qu’il est véritablement, il affecte encore plus de l’être en poussant jusqu’à l’abus la minutieuse anatomie des choses qu’il entreprend de peindre et de décrire ; Nous ne parlons pas des étranges licences d’expressions qui représentent peut-être aux yeux de l’auteur le plus beau triomphe du réalisme. Que disent donc ces Souffrances de M. le professeur Delteil et ce Trio des Chenizelles, qui sont les principaux morceaux des Contes d’été ? Le pauvre professeur Delteil est une victime de l’amour du grec ; il travaille à un dictionnaire depuis sa jeunesse, et il vit de rien pour pouvoir le faire imprimer, il transporte son œuvre de collège en collège, et il tombe au lycée de Laon, où il est en butte à toute sorte de méfaits d’écoliers sans pitié qui le torturent et passent leur temps à élever des vers à soie. Le malheureux Delteil a un autre amour cependant que celui du grec : il est amoureux d’une modiste chez laquelle il loge, et qui a eu des infortunes dans sa jeunesse ; mais il ne s’en aperçoit que quand la modiste va se marier avec un gros docteur apoplectique, — et alors, chassé de son collège pour n’avoir pas su réprimer l’indiscipline de ses écoliers ; il n’a d’autre ressource que d’entrer dans le nouveau ménage comme précepteur de l’enfant que la modiste a eu dans ses malheurs de jeunesse. — Quant au Trio des Chenizelles, il serait encore plus difficile de donner une idée de cette aventure singulière, où le principal rôle appartient à un pauvre diable de musicien amoureux d’une jeune femme, laquelle finit par se donner quelque peu à lui pour punir son mari de sa tyrannie et de ses injustes soupçons.

Ces histoires ne sont rien en elles-mêmes : le sujet n’existe pas ; ce qui est quelque chose, c’est le talent d’observation de l’auteur, qui peint certaines souffrances obscures, certains côtés vulgaires de la vie provinciale avec une sagacité singulière parfois ; seulement l’auteur est atteint d’une maladie très difficile à guérir, parce qu’elle est le résultat d’un système. Il croit qu’il suffit d’observer, quelle que soit la chose qu’on observe, pourvu qu’elle ait un caractère réel. L’art cependant ne consiste pas exclusivement à observer, il consiste à observer des choses qui intéressent ; il consiste a choisir, à combiner, et à faire d’une fiction l’image idéale de la réalité. M. Champfleury croit que l’intérêt d’un roman ou d’un conte réside dans la reproduction minutieuse des vulgarités les plus crues, et voici l’auteur inconnu d’un recueil publié sous le titre de Six Nouvelles contemporaines, qui trace d’une main rapide quelques esquisses d’une vie plus relevée. Le livre vient de Genève, et c’est sans doute une plume mondaine qui l’a écrit. Là peut-être est le trait le plus distinctif de ces récits sans prétention, qui ne manquent parfois ni de facilité ni d’élégance. L’auteur peint un peu les mœurs sociales contemporaines ; il mêle même à quelques-unes des aventures qu’il raconte nos soldats de Rome et d’Afrique. Valentine de Trèves et Louise sont les meilleures de ces nouvelles ; mais quoi ! n’y a-t-il point quelque monotonie dans l’invention ? Ici, dans le premier de ces contes, c’est un mari embarrassant qui meurt fort à point pour permettre à sa femme de voler à un second mariage ; là, dans Louise, c’est une femme qui disparaît à propos pour permettre à son mari de se rapprocher d’une jeune fille du peuple qu’il a aimée, et qui avait eu la