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qui est de 637, — 637 maisons occupant une surface de 76,841 mètres. L’expropriation de ces 637 maisons a été nécessaire pour la création des halles et de la rue de Rivoli seulement. Ces dépenses, qui forment un budget à part pour la ville de Paris, sont couvertes à l’aide d’un emprunt qui a produit un peu plus de 61 millions. Cependant, en supposant même que les dépenses réelles ne dépassent pas les prévisions, il restera un déficit de 5 millions ; mais ce déficit devra être imputé par année sur le budget municipal ordinaire à dater de 1855, époque probable de l’achèvement des halles. Ce n’est pas par un stérile besoin de supputer des chiffres, des maisons abattues, des quartiers qui disparaissent, des constructions qui s’élèvent, que nous constatons les travaux qui s’accomplissent dans Paris et en changent presque entièrement la face, — c’est parce qu’ils ont leur place dans le mouvement actuel, et ensuite parce qu’il y a quelque chose de curieux dans ce labeur d’une ville occupée à briser sa vieille enveloppe pour paraître sous une forme nouvelle. Dans ces maisons qui croulent de vétusté avant que le marteau vienne les achever, c’est un passé qui s’en va. On assainit la ville, un air plus salubre pénètre là où on ne respirait pas, les architectes tracent des voies droites, régulières et élégantes, on s’entend merveilleusement à tout ce qui constitue la vie extérieure, en même temps aussi il y a un sens moral des choses anciennes qui s’évanouit, il y a un caractère qui s’efface dans les monumens restés debout, isolés et dépaysés en quelque sorte au milieu des splendeurs des voies et des constructions modernes. On en a un exemple par cette tour Saint-Jacques-la- Boucherie, demeurée intacte dans la rue de Rivoli, et qui doit, à ce qu’il parait, être entourée d’une balustrade, d’une plantation d’ormes et d’acacias. Le monument n’a pas changé, c’est sa destination qui n’existe plus. Autrefois il avait un sens historique, aujourd’hui il n’est plus qu’une curiosité d’art appelée à figurer au milieu d’un square, il en sera de même de l’Hôtel-Dieu, qui doit, dit-on, être déplacé et reconstruit. On bâtira un plus bel hospice, ce ne sera plus la maison hospitalière, adossée à l’église, mettant les pauvres à côté du temple et résumant la vieille idée religieuse dans ce qu’elle avait à la fois de plus élevé et de plus touchant, c’est ainsi que, dans les transformations matérielles d’une ville, on peut voir partout les signes multipliés des transformations qui s’accomplissent dans le monde moral et dans le monde intellectuel.

Ces transformations du monde intellectuel, il serait facile aussi d’aller le rechercher directement dans les œuvres de l’esprit Là les signes n’abonderaient pas moins ; on pourrait voir comment les goûts varient, comment les tendances se succèdent et se renouvellent, comment les mots eux-mêmes changent de sens fréquemment : ce serait une étude comparative à faire de l’esprit et des procédés intellectuels des divers siècles de notre littérature, et, après tout, notre temps ne serait point sans avoir encore dans ce large tableau une part suffisante à côté des tristes et violens excès qui ont pris trop souvent le nom d’inspiration. Pour aujourd’hui malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’œuvres tout à fait actuelles qui pussent rentrer dans ce tableau, et en supposant que l’école réaliste y eût sa place, — une place toujours fort restreinte, — ce ne serait point par les Contes d’été, que M. Champfleury vient de publier. Ce n’est pas que M. Champfleury n’ait