Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et imaginer bien des procédée pour suffire à ces crises alimentaires ou pour les prévenir ; le plus simple et le plus efficace encore aujourd’hui, c’est la liberté de l’Industrie privée et du commerce : il n’en est point qui remplace celui-là. Tout autre moyen qui tendrait à transformer l’état en pourvoyeur général, outre qu’il aurait l’inconvénient d’être entaché d’un esprit peu en faveur auprès du pays, aurait pour effet de suspendre et de paralyser toutes les transactions. Quant à la mesure prise pour maintenir à Paris le prix du pain à un taux inférieur aux indications des mercuriales, ce qu’on en peut dire, c’est que ce n’est là qu’une mesure spéciale à Paris. Il n’est point probable que le gouvernement, au moment où il déclarait vouloir laisser toute liberté au commerce sous une de ses formes, eût la pensée de le gêner sous une autre forme.

Il y a quelques mois déjà, il paraissait un Mémoire, qui n’est point sans intérêt, sur ces périodes de disette en France. En décomposant les chiffres des importations et des exportations de grains, l’auteur, M. A. Hugo, est arrivé à découvrir que la disette et l’abondance alternaient par périodes de cinq ou six années : c’est l’éternelle histoire des sept vaches grasses et des sept vaches maigres. Il en est ainsi en France depuis 1816. Sept périodes alternatives se sont succédé. Nous touchons à la huitième marquée pour la disette. Seulement, en comparant dans ces trente-six dernières années le chiffre général des importations et des exportations, il se trouve qu’il y a pour la France un déficit en froment de plus de vingt et un millions d’hectolitres : d’où il résulterait que l’abondance ne compense pas la disette, et qu’en établissant une moyenne de production, la France ne se suffit pas à elle-même. S’il en est ainsi, n’est-ce point à l’étal d’Infériorité où est l’agriculture française qu’il faut l’attribuer. Quant à l’influence que la disette peut exercer sur les grands événemens publics, l’auteur du Mémoire en cite un exemple curieux : il rappelle que la campagne de Russie ne manqua peut-être en 1812 que par suite de la disette de cette époque, la nécessité d’assurer l’approvisionnement de Paris ayant retenu l’empereur du 10 mars au 9 mai. Il se peut qu’il en soit ainsi. Convenons cependant qu’il y a d’autres explications plus élevées, et que cela prouve seulement combien les causes secondes viennent concourir parfois aux grands résultats de l’histoire.

Un des caractères de la crise qui nous menace, c’est de se produire au milieu d’un mouvement immense d’industrie et de travaux qui peuvent être certainement une source de richesse, mais qui pour l’instant malheureusement absorbent les capitaux et les détournent du commerce ordinaire. Partout en effet les plus vastes entreprises se poursuivent il sont en voie d’exécution. La ville de Paris elle-même, au premier rang, a assumé la charge de se transformer matériellement. On a chaque jour le témoignage de ce qui peut s’accomplir en quelque sorte à vue d’œil. Ce n’est pas seulement le Louvre qui s’élève, — ce Louvre qu’on avait eu la si étrange idée de baptiser le palais du peuple ; — des voies nouvelles sont percées sur tous les points, des boulevards s’ouvrent presque à l’improviste, la grande artère de la rue de Rivoli traverse déjà Paris, des quartiers entiers disparaissent pour faire place à des quartiers nouveaux. Sait-onn combien de maisons sont tombées sous le marteau dans ces dernière temps ? M. le préfet de la Seine, dans un mémoire récent, en donnait le chiffre,