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de moyen d’arrangement entre l’empire ottoman et la Russie ? C’était de maintenir autant une possible l’état actuel des choses. Le divan se déclarait prêt à observer dans leur esprit et dans leur lettre les traités de Kaïnardgj et d’Andrinople ; il assurait aux Grecs la participation dans une mesure équitable, aux avantages dont jouissent les autres chrétiens ; il parlait avec déférence de la sollicitude de la Russie pour l’église grecque, sans rien spécifier d’où on put inférer un droit formel de protectorat. La première condition de succès pour la note de Vienne, il faut le dire, c’était qu’on n’insistât pas trop sur ses termes, et que de part et d’autre on ne cherchât pas trop à en accuser le sens. Il est parfaitement clair que du moment où chacun prétendrait mettre sous les paroles de cette déclaration un sens entièrement conforme à sa propre politique, il n’y avait plus d’accord possible. C’est l’habileté de la Russie de n’avoir rien discuté dans la note de Vienne, d’avoir tout accepté, soit qu’elle se tint pour satisfaite des assurances nouvelles qui lui étaient offertes, soit que, dans sa situation actuelle en Europe, elle ne se crût point en mesure de pousser plus loin l’accomplissement de ses desseins sur l’Orient. La Turquie en a jugé autrement ; elle a cru de son honneur de faire des modifications qui sont aujourd’hui connue, par la publication de la note de Vienne elle-même et du mémorandum de Rechid-Pacha qui accompagne et explique les changemens opérés par le divan. Ces changemens, on le sait, tendent à préciser la portée réelle des traités de Kaïnardgi et d’Andrinople ; ils font la distinction entre les chrétiens relevant des gouvernemens étrangers, en vertu de dispositions particulières, et les chrétiens grecs sujets ottomans ; quant à ceux-ci, la sollicitude de la Russie est écartée pour ne laisser debout que la sollicitude et la protection des sultans. Avec toute la bonne volonté possible, ces modifications ne sauraient être considérées comme absolument dénuées de signification, elles sont même si essentielles, qu’elles déplacent la question telle qu’elle avait été posée à la conférence de Vienne, ou plutôt qu’elles la replacent, après trois mois de négociations et d’efforts, dans les termes où elle se trouvait au moment où le prince Menchikof quittait Conslantinople. Il y a seulement une différence considérable. À l’origine de cette triste querelle, la Porte ottomane avait pour elle les puissances de l’Occident, l’appui de leur diplomatie, de leurs conseils et de leurs flottes. Depuis, ces puissances ont interposé leur médiation et négocié un arrangement. Or, en présence des modifications Introduites par la Turquie dans cet arrangement, que pourraient-elles répondre à la Russie, si celle-ci venait dire aux cabinets : — Vous avez proposé un moyen de pacification, vous avez rédigé une note, j’ai accepté cette note sans y changer un mot ; c’est la Turquie qui refuse de souscrire à l’œuvre de votre médiation. Maintenant, c’est à vous de faire accepter par la Porte ce que vous avez proposé, ou laissez-moi vider seule ma querelle ! — Sans doute le meilleur moyen serait que la Russie acceptât la note de Vienne, même avec les modifications du divan ; sans doute aussi l’intérêt européen reste le même, et n’en est pas moins opposé aux tendances de la politique russe ; il est vrai encore qu’en tout ceci l’attitude de la Turquie n’est point sans dignité. Cela veut dire seulement que la situation n’est devenue facile pour personne. Il y a un autre inconvénient à signaler.