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et convaincu. Il y a dans ses Poèmes évangéliques plus d’une page qui serait avouée par les esprits les plus élevés de notre temps. L’art n’est pas pour lui un pur délassement, mais un besoin impérieux. Le dirai-je cependant ? M. de Laprade ne me parait pas comprendre assez nettement l’intervalle qui sépare la poésie de la philosophie. Animé de sentimens généreux, ému comme toutes les âmes délicates en présence de la nature, initié à toutes les grandes pensées que la philosophie a mises en circulation depuis cinquante ans, il confond trop souvent renseignement avec l’inspiration. Je proclamerai en toute occasion les relations étroites du beau et du vrai, mais je n’affirmerai jamais avec un accent moins résolu la distinction profonde de la philosophie et de la poésie. La poésie la plus haute ne doit renfermer qu’un enseignement implicite. Dégagez la vérité, présentez-la sous une forme explicite, et vous détournez la poésie de sa vraie mission. La leçon, une fois offerte au lecteur dans toute sa nudité, appartient à la philosophie. Voilà précisément ce que M. de Laprade me paraît ignorer, ou du moins avoir oublié. Voué à l’expression du sentiment religieux, acceptant sans réserve tous les dogmes chrétiens, il les métamorphose à son insu, en les interprétant, pour les appliquer comme un baume salutaire aux plaies de notre âge. L’intention est excellente, mais l’Evangile soumis à cette épreuve perd bientôt son caractère primitif. Le poète a beau croire de toutes les forces de son âme aux vérités révélées, il en altère la simplicité par le travail de la réflexion.

Je ne m’arrêterai pas à discuter si le Nouveau Testament est une matière poétique ; l’arrêt prononcé en France au XVIIe siècle a été réfuté victorieusement par Klopstock. Ce qu’il m’importe de signaler dans les Poèmes Evangéliques de M. Victor de Laprade, c’est le caractère didactique. Le Précurseur et la Tentation sont à coup sûr l’œuvre d’une imagination très heureusement inspirée ; mais ces deux poèmes, dont je me plais d’ailleurs à louer l’élégance et l’austérité, agiraient plus sûrement sur la foule, si l’intention de l’auteur était indiquée, au lieu d’être formulée. La confusion de la poésie et de la philosophie, que la raison ne saurait accepter, amène dans la trame du style une diversité de couleurs que le goût ne peut avouer. Tour à tour poétique et philosophique, le langage de M. de Laprade ne contente que d’une manière incomplète les philosophes et les poètes. Oui, je crois que le Nouveau Testament est une mine féconde pour les âmes initiées à la foi chrétienne et soumises sans réserve aux prescriptions de la loi nouvelle ; mais à quelle condition cette mine peut-elle être exploitée ? Il me semble qu’à cet égard les avis ne sauraient être divisés. Il suffit de lire l’Évangile pour comprendre que les récits de saint Luc et de saint Matthieu, de saint