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viales. Ulysse et Nausicaa parlent dans le poème de M. Ponsard, je veux dire dans le chant de l’Odyssée qu’il a traduit, un langage sans grâce et sans élévation. C’est une manière toute nouvelle de comprendre l’antiquité, très nouvelle assurément, qui ne séduira pas les gens du monde guidés par les seules lumières du goût, et qui étonnera fort les érudits, car les passages les plus familiers, les plus naïfs de l’Odyssée n’ont jamais rien de trivial. Les choses sont appelées par leur nom ; mais la précision des termes n’exclut ni l’énergie, ni l’élévation. Il y a d’ailleurs dans le style d’Homère une qualité précieuse et constante que M. Ponsard oublie complètement, je veux dire l’unité. Les expressions les plus franches n’ont jamais rien d’inattendu, parce qu’elles sont préparées par le ton général de la pensée. Dans la traduction de M. Ponsard, les couleurs les plus vraies prennent un accent criard et discordant. Pourquoi ? C’est qu’il n’a pas tenu compte de l’unité ; dans son horreur pour la périphrase, que je suis loin de lui reprocher, il ne garde aucune mesure. Pour mieux prouver qu’il tient à nommer les choses par leur nom, ayant à choisir entre deux termes, il choisit presque toujours le plus vulgaire et le plus bas. C’est là ce qu’il appelle retrouver la simplicité homérique. Cette prétendue fidélité n’est, aux yeux des hellénistes, qu’une infidélité flagrante. Cette interprétation, qui se donne pour littérale, défigure Homère qu’elle prétend copier.

Qu’ai-je dit, mon Dieu ? M. Ponsard va me trouver bien hardi, bien téméraire. Après avoir mis en question la vérité de son Ulysse, j’ose révoquer en doute l’exactitude de sa traduction. Je n’ignore pas les périls de ma franchise : la rude leçon qu’il m’a donnée dans sa préface aurait dû me rendre plus prudent et plus modeste. Cependant une pensée me rassure. Après m’avoir comparé à Tityre, quel plus terrible anathème M. Ponsard peut-il lancer contre moi ? Le pire qui puisse m’arriver, c’est d’être baptisé du nom de Zoïle, et je m’en consolerai facilement en pensant que M. Ponsard n’avait pas d’autre moyen de se mettre sur la même ligne qu’Homère. Les poètes de nos jours ont l’humeur quinteuse et s’appliquent à justifier de plus en plus l’opinion exprimée par l’ami de Virgile et de Mécène. Ils forment une race plus que jamais irritable. Discuter leur savoir, refuser de croire qu’ils ont tout deviné, qu’ils n’ont besoin de rien apprendre, c’est leur manquer de respect. Vouloir les soumettre aux conditions vulgaires de l’étude et de la réflexion, c’est nier l’auréole lumineuse suspendue au-dessus de leurs têtes. Quelque durs que soient de tels reproches, il faut bien les subir avec résignation. J’ai le malheur de penser, malgré ma profonde sympathie pour l’imagination, que l’étude n’a jamais rien gâté, que les p’us heureux dons du génie ne sauraient suppléer la connaissance de l’histoire. Les poètes sont à