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Chargés d’éclairer la justice sur les circonstances d’un drame maritime qui s’est dénoué plus tard devant la cour d’assises de Nantes et dont je me reprocherais de remuer la poussière, nous formâmes le projet de nous porter jusqu’à l’extrémité orientale du groupe des des Carolines.

Le 3 janvier 1850, après une courte apparition au mouillage de Wampoa, apparition destinée à rappeler au vice-roi notre présence dans les mers de Chine, nous partîmes pour Manille, où nous nous arrêtâmes une quinzaine de jours. Notre nouvelle campagne excédait un peu les limites de notre station, et il était important de passer pour ainsi dire en revue les divers intérêts confiés à notre surveillance avant d’entreprendre un voyage dont nous avions pu apprécier les difficultés et les lenteurs, lorsqu’un mois de mai 1848 nous nous étions rendus aux îles Mariannes. Cette l’ois d’ailleurs il s’agissait d’aller plus loin encore et d’atteindre l’île Oualan, située à près de onze cents lieues du port de Macao.

Le 28 janvier nous réprîmes la mer. Nous avions longtemps à l’avance étudié la route que nous devions suivre et calculé avec le plus grand soin le tracé qui pouvait nous offrir les chances les plus favorables. Dans une autre saison, nous eussions essayé, de franchir le canal des Bashis et nous eussions été chercher sur les côtes du Japon les vents variables qui nous auraient rapidement poussés vers l’est ; mais au commencement de l’hiver, la navigation sous l’équateur nous parut devoir obtenir la préférence. Nous pénétrantes donc une troisième fois dans le détroit de San-Bernardino, et nous nous dirigeâmes par la mer de Mindoro sur l’établissement espagnol de Samboangan, devant lequel nous mouillâmes le 3 février. De ce point, la route nous était ouverte vers l’Océan Pacifique. Le 8 février, nous avions laissé derrière nous la mer des Moluques, et nous n’avions plus que sept cents lieues à faire pour arriver au terme de notre voyage.

Jusqu’à la hauteur des îles Pellew, nous avançâmes assez rapidement : la brise soufflait souvent du nord, d’autres fois de lourds orages nous amenaient quelques heures de vents d’ouest ; mais le méridien des îles Pellew était à peine dépassé, qu’il fallut de nouveau lutter contre des vents d’est obstinés, de pesantes rafales et des grains si violens, qu’ils nous obligeaient à carguer presque toutes nos voiles. De toutes nos traversées, celle-ci fut sans contredit la plus ennuyeuse et la plus pénible. Le métier de marin a ses plaisirs et ses émotions ; il a malheureusement aussi ses longs jours de monotonie. Quand on se traîne lourdement sur une mer assoupie, quand un ciel orageux pèse de toutes parts sur l’océan, qu’on voit se succéder, sans qu’on puisse lutter contre l’inertie des flots, des heures chaudes et nauséabondes, on se prend malgré soi à envier le sort