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du camp ou l’on avait élevé un autel. On célébra le sacrifice de la messe. Le père Régis officiait. Il avait placé derrière le tabernacle une croix dont toutes les imaginations furent frappées. C’étaient deux brandies d’arbre à peine dépouillées de leurs feuilles, et noueuses, tordues, sauvages. Cette croix rappelait la Trappe, ses agrestes solitudes et son âpre piété. Il y avait, dans ce bois étrangement contourné qui se détachait sur un ciel d’un bleu ardent, une sorte de violence mystique comme celle d’une âme qui se tord dans le brasier de la prière. Je ne suis pas très partisan des messes en plein air, d’abord parce que cela me fait involontairement penser à de fades descriptions dont mon enfance a été ennuyée, puis parce que j’ai en horreur cette opinion philosophique, que la nature est le seul temple qui convienne à l’Être suprême. Jamais la religion ne murmure à mes oreilles de plus frémissantes paroles que sous la voûte des églises ; le souffle divin, quand il s’enferme dans une habitation terrestre, y produit une atmosphère où les âmes se sentent soulevées. Toutefois j’assistai avec joie à la messe du père Régis ; j’étais heureux que la prière eût sa place dans une journée qui, sans elle, n’aurait était consacrée qu’à la gloire humaine ; car « la gloire humaine, dit un saint livre, est toujours accompagnée de tristesse. »

Au sortir de l’Oued-Agrioun, nous allâmes passer huit jours dans un lieu qu’on appelle Ziama. C’est une région montagneuse qui s’étend au bord de la mer. Dans la partie la plus voisine de la grève, on retrouve les ruines fort apparentes d’une ville romaine. Si l’un des groupes de maisons que nous répandons à travers l’Afrique venait à être détruit maintenant par quelque action violente soit de la nature, soit des hommes, il n’en resterait dans bien peu d’années que d’informes décombres, des tuiles, du bois, des plâtres ; le souffle d’un seul siècle suffirait pour balayer cette poussière. Les Romains semblaient songer à autre chose qu’à se construire des abris. Comme toutes les nations antiques, ils voulaient laisser après eux sur cette terre, l’unique domaine de leur vie, des fantômes de pierre et de marbre. La cité dont j’ai visité les débris était assurément une ville bien obscure, où ne vivaient que des Romains ignorés de Rome ; eh bien ! son existence est attestée par des portiques qui ont de la grâce et de la majesté. La nature en a pour longtemps encore avant de dévorer ces ruines avec lesquelles aujourd’hui elle semble prendre plaisir à se jouer. Des liserons s’enroulent autour de sombres arcades et de pâles bluets se serrent contre des colonnes brisées. Je me suis arrêté près d’un sépulcre rempli d’une eau où des oiseaux se désaltéraient. J’ai retrouvé sur cette tombe des sculptures qui continuent, malgré les altérations qu’elles ont subies, à rendre la pensée qu’on