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aspects ; elle aussi suspend tout mouvement, et s’arrête haletante, éperdue. Ne lui dites point : « Il n’est pas là ; » elle vous répondra en aspirant le redoutable souffle de l’existence qu’elle vient de sentir.

Quoique à Tisi-Sekkal je me sois complu dans bien des rêveries, je n’ai pas assurément consacré tout le temps que j’ai passé en ce lieu à la vie contemplative. Ainsi le 22 mai fut encore une journée de poudre. Le gouverneur me permit d’accompagner le général Bosquet, qui allait achever la soumission d’une grande tribu, les Beni-Tisi, et me voilà pénétrant de nouveau dans la gorge où le jour de notre arrivée s’étaient lancés nos tirailleurs. Il s’agissait cette fois d’opérer méthodiquement dans le pays que nos soldats avaient envahi du premier coup. Le général Bosquet avait divisé ses troupes en deux colonnes, qui devaient, après avoir longé deux lignes parallèles de crêtes, se rejoindre à l’extrémité de la vallée, où les Beni-Tisi avaient la plus grande partie de leurs oliviers et de leurs maisons. À l’heure dite et au point désigné, les deux colonnes firent leur jonction. Cette journée m’a montré à quel degré de perfection des officiers intelligens peuvent amener une guerre qu’ils pratiquent depuis longtemps. Nos ennemis, toujours dominés, essayèrent en vain de se défendre. Nos balles les atteignaient de tous les côtés ; s’ils essayaient de se porter en avant, leurs gourbis brûlaient derrière eux. Les accidens de leur terrain, éclairés par nos tirailleurs, ne leur offraient que des asiles funestes. Soixante Kabyles, embusqués dans un ravin, furent tués par les zouaves du colonel Vinoy. Les troupes étaient sorties du camp à midi ; à cinq heures, le mouvement de retraite commença. Les sentiers que nous avions parcourus dans la matinée offraient le soir des traces irrécusables de notre passage. Aussi le lendemain les soumissions arrivaient au camp, empressées et nombreuses. Les peuples primitifs disent à ceux qui veulent les soumettre : « Montrez-nous qui vous êtes. » Ils se prosternent avec une sorte de sentiment religieux devant la force qui s’est manifestée à eux par des signes certains. Je crois qu’en cela du reste ils ressemblent à la race humaine tout entière. Un Dieu seul peut fonder sa domination en refusant à ceux qui veulent le tenter toute marque visible de sa grandeur. Cette hauteur divine n’est point permise à la puissance terrestre.

Le 30 au matin, j’eus un des plaisirs les plus rares de ce monde, c’est-à-dire un réveil plein de charme. Nous étions arrivés la veille dans un lieu où l’on devait faire séjour. Aussi j’avais laissé passer au-dessus de mon sommeil les allègres accens de la diane. Vers sept heures, mon spahi soulève un des pans de ma tente, et je vois, en ouvrant mes yeux au jour, un paysage paré d’un attrait de soudaineté, d’un éclat imprévu, comme la décoration que découvre brusquement