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Quoi qu’il en soit, les zéphyrs nous donnaient la comédie à Sétif. Le théâtre n’avait pas trop un air de grange. C’était une pièce assez vaste, avec un parterre, une galerie et deux loges d’avant-scène. Toutes ces places étaient occupées d’habitude par des soldats et des officiers, excepté les loges, où je me rappelle avoir vu un soir deux femmes en toilette parisienne, qui un instant emportèrent ma pensée dans de bien lointains pays. Les pièces qu’on nous donna appartenaient pour la plupart au répertoire du Palais-Royal. Elles étaient vraiment jouées avec beaucoup d’entrain, de bonne humeur et de malicieux esprit. Le jeune premier, qui s’occupait, je crois, d’art culinaire pendant le jour, avait de la sensibilité, de la grâce, et portait fort bien la perruque poudrée. Les comiques avaient toutes sortes d’expressions imprévues, de grimaces triomphantes, qui auraient été de l’effet le plus divertissant sur nos meilleures scènes. Les femmes n’étaient pas nombreuses. C’étaient deux aimables personnes fort connues de l’armée d’Afrique, qu’elles avaient visitée dans ses postes les plus isolés. Une de ces méritantes gitanas avait de jolis yeux, une voix agréable, et, en dépit de l’ardente contrée où s’était promenée sa jeunesse, une apparence de fraîcheur. Toute cette troupe déployait un zèle dont il aurait été bien injuste de ne pas lui savoir gré. Puis, ce qui devait nous rendre avant tout indulgens pour ce théâtre, c’est qu’il nous rappelait la patrie. Ces airs de vaudeville étaient écoutés par le public de Sétif avec le cœur bien plus qu’avec les oreilles. De là le plaisir qu’ils m’ont causé, de là le souvenir que je leur consacrerais même dans des pages qui n’auraient pas la familiarité de ce récit ; car, suivant moi, tout ce que n’a point dédaigné le cœur a le droit de dire à la pensée : « Cherche à me sauver de l’oubli. »

Il y avait huit jours à peine que le camp de Sétif était formé quand le gouverneur vint prendre le commandement des troupes. Le général Randon arriva par une radieuse matinée, et je crois vraiment pouvoir dire, sans tomber dans un style officiel qui ne serait guère à sa place ici, que soldats et colons lui firent un accueil dont il dut être profondément touché. Il y a des popularités semblables au trésor que Dieu permet quelquefois à l’honnête homme d’amasser : elles ont été lentes à se construire, mais il arrive une heure où elles se montrent dans un éclat qui est salué de tous, parce que chacun sait de quels élémens elles sont composées. Le général Randon jouit en Afrique d’une popularité de cette nature. Le hasard n’a point dirigé l’affection qui s’est attachée à lui. Le pays qu’il gouverne maintenant l’a vu suivre une loi invariable dans des situations qui ont changé. Cette vie consacrée au devoir a éveillé dans l’âme des populations de l’Algérie un sentiment de sérieuse sympathie dont le