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éclatante des fleurs. Je ne défends pas cet instinct ; je me contente de m’y livrer.

Je ne crois pas que Sétif soit d’habitude le séjour de la gaieté ; mais le camp y faisait circuler une vie dont toutes ses rues, toutes ses maisons étaient animées. Les cabarets y regorgeaient de buveurs ; les marchandes de tabac y débitaient derrière leurs comptoirs toutes leurs provisions d’œillades et de cigares. Les plus chétifs restaurans renfermaient autant de tables que Véfour ou le Café de Paris. Au milieu de cette joyeuse agitation, de cette foule, de ce bruit, flottait je ne sais quoi qui sentait la guerre. Des soldats du train passaient escortant des caisses à cartouches, des arabes chevauchaient en attirail d’expédition, leurs fusils en travers de leurs selles. Il y eut une heure surtout où ce sentiment de la lutte prochaine me monta au cœur comme un parfum de printemps. Je songeai à d’autres combats que je ne pourrai jamais me résoudre à haïr, malgré ce qu’ils avaient de douloureux et de sinistre, parce qu’ils resteront mêlés en définitive aux plus vifs souvenirs de ma jeunesse. J’ai respiré dans les rues de Paris, j’ai senti sur la dalle des quais, entre les arbres des boulevards, cette sorte d’émanation belliqueuse qui s’échappe des lieux où vont se déchaîner les énergiques instincts des âmes humaines. Je retrouvais cette odeur avec joie.

On s’amusait à Sétif comme s’amuse une armée qui entre en campagne. On n’y traitait avec superbe aucun plaisir, on y fêtait tout ce qui hâte la marche des heures. Outre les cigares, le vin et l’absinthe, Sétif nous offrit un théâtre, où, pour ma part, j’ai passé de gais et rapides momens. Les acteurs de ce théâtre étaient des zéphyrs. Je n’ai pas besoin, j’espère, de décrire l’espèce de gens que ce nom désigne. Je crois que les zéphyrs sont connus depuis longtemps en France. Ce sont des soldats dont on a peut-être un peu trop exalté l’humeur excentrique et les allures bohémiennes. Ces hommes, que la loi militaire a l’intention de punir, trouvent le moyen de transformer une vie d’expiation en vie d’une folle insouciance. On les appelle indifféremment les zéphyrs ou les joyeux. Ce dernier nom est même celui qui maintenant sert le plus souvent à les désigner. En dépit d’une série tout entière de vieilles et banales maximes, qui attribuent une particulière énergie aux cœurs où le vice prend ses ébats, je préférerai toujours aux zéphyrs, quand il s’agira d’aller au feu, ceux de nos soldats que l’honneur n’a jamais rayés de sa noblesse ; mais je ne puis nier qu’ils n’aient parfois une verve amusante et que leur entrain même ne rende des services, car, ainsi que je l’ai entendu répéter souvent à un des généraux les plus expérimentés de l’armée d’Afrique, la gaieté est un élément essentiel de l’existence militaire.