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puis on y est subjugué, sans même s’en apercevoir, par le charme d’une vie mêlée d’un repos infini et d’une ardente activité. Dans une de ses poétiques comédies, Alfred de Musset parle d’une coupe avide que l’homme tend sans cesse à la nature, et que la nature, dit-il, ne parvient pas à remplir. Le ciel d’Afrique verse dans cette coupe le plus précieux des philtres, il y fait couler l’oubli. D’abord dans ces lumineux lointains qui charment et fatiguent la vue, on cherche l’image de la patrie, on croit voir des formes connues, des fantômes adorés ; peu à peu on n’y voit plus rien que ces vagues attraits dont se revêt pour nous à certaines heures le ciel de tous les pays. On s’abandonne à une existence pleine en même temps de monotonie et d’imprévu. Quand tout à coup des cheveux blancs et des rides vous avertissent que dans ces lieux où vous ne vous êtes pas senti vivre, vous avez laissé nombre de vos jours, vous croyez avoir dormi d’un sommeil magique. Bordj-bou-Areridj a été un de ces points du sol africain d’où il m’a semblé que ma tente se détachait avec le plus de peine, l’ai été heureux cependant quand j’ai aperçu les murs de Sétif.

Toutes les troupes expéditionnaires y étaient rassemblées. L’armée devait se diviser en deux corps conduits, sous les ordres du gouverneur, l’un par le général Bosquet, l’autre par le général Mac-Mahon. Ces deux corps étaient réunis devant Sétif ; ils occupaient un camp rempli d’espace, où les bataillons pouvaient manœuvrer, et où les chevaux pouvaient fournir de longues courses. À une des extrémités de notre horizon, nous apercevions les montagnes que nous devions parcourir, ces sommets abrupts des Babors, qui semblaient des régions inhumaines où les aigles, les vents et les nuages, pouvaient seuls errer. Sétif, qui longeait une des faces de notre camp, est une ville d’une construction toute moderne et toute française, mais où s’élèvent quelques ruines romaines d’une incontestable grandeur. Ainsi, près d’une porte, on aperçoit une de ces tours carrées qui font rêver des sièges antiques, des machines de guerre, des échelles pliant sous les soldats, de ces combats où les âmes et les corps faisaient, avant l’invention de la poudre, des efforts si désespérés. Un jardin situé à l’entrée de la ville est devenu un véritable musée. On a disposé entre des arbres tous les objets que d’habitude nous voyons dans d’obscures galeries, ces pierres, ces bas-reliefs, ces colonnes dont les antiquaires se servent pour reconstruire, en leurs savantes rêveries, les mondes disparus. Je n’ai aperçu du reste ce musée que de loin ; je ne l’ai pas visité, quoique son aspect pittoresque, sa physionomie pensive m’eussent prévenu en sa faveur ; mais je ne sais pourquoi la science me glace. Dès que je découvre quelque part ses traces, je m’enfuis. Une étiquette me gâte la plus odorante et la plus