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qui accompagnait notre départ. Puis je me sentais avec bonheur repris par le charme, je pourrais presque dire par l’empire de la musique militaire : ces instrumens de cuivre et de peau, qui nous font éprouver en tout temps des frémissemens si étranges, deviennent en campagne les régulateurs et comme les maîtres de noue vie. Le matin, c’est la diane qui fait entendre le déluge de ses sons précipités ; le soir, c’est la retraite qui nous annonce un repos dont la vigilance ne doit pas être bannie, par une cadence adoucis, mais toujours animée et fière. Ces voix semblent celles des génies mâles et bienfaisans du bivouac ; elles ont des consolations toutes puissantes sans pernicieux attendrissemens ; elles nous disposent aux devoirs qu’elles nous dictent ; elles rendent attrayantes toutes les routes où elles nous poussent. Je saluai donc d’une âme affectueuse ces accens bien connus auxquels j’ai promis une obéissance qui, je l’espère, ne me coûtera jamais.

Notre marche se passa sans incidens ; nous traversions un pays que nos colonnes avaient souvent sillonné. J’eus le regret d’apercevoir dans le lointain seulement le formidable passage des Portes-de-Fer. J’aurais aimé m’engager dans ces défilés où notre armée se jeta hardiment aux premières années de notre conquête. Je m’arrêtai un instant sur une hauteur pour les contempler. Je me consolai en pensant que nous aussi nous allions, comme nos devanciers, parcourir des montagnes inconnues. Je songeais que j’étais encore entre les privilégiés, car dans peu il n’y aura plus d’espace blanc sur les cartes que nous traçons chaque année de nos possessions africaines. L’Algérie nous aura dit tous ses secrets, malgré mon horreur pour les itinéraires en pays connus, je ne veux point cependant passer sous silence, avant notre arrivée à Bordj-Bou-Areridj, notre bivouac de Mansoura.

Je crois d’ailleurs que Mansoura peut avoir encore, pour nombre de gens, le mérite de la nouveauté. Il y a dans ce site un grand charme de fraîcheur et de verdure. L’emplacement de nos tentes était un véritable jardin qui semblait disposé pour une fête champêtre. Aussi le colonel du 11e léger eut-il la pensée toute française de donner dans ces lieux une soirée que peu de raouts militaires surpasseront certainement en piquante originalité. Des lanternes en papier de couleur, qui rappelaient les illuminations parisiennes, avaient été suspendues à des branches d’arbres dans une vaste clairière où des bols de punch flamboyaient au milieu d’un cercle d’officiers. Je crois qu’Hoffmann lui-même eût préféré notre punch à celui qu’il prenait tous les soirs en compagnie des frères Sérapion. Je ne veux médire de rien cependant, car c’est bien au domaine de la poésie qu’on peut appliquer les paroles du Christ à propos d’un autre