Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à chaux et à mortier, une morale sédentaire. Libre, voyageuse, guerrière, elle vous dit : « Pars, je te suis. »

Notre premier bivouac fut à Larba, qui est un riant village européen construit au pied de hautes et graves montagnes. L’emplacement où s’élevèrent nos tentes est une sorte de prairie que parfumaient çà et là quelques bouquets de fleurs printanières. Le 1er mai était un dimanche. Des colons vêtus de leurs plus beaux habits passaient à quelques pas de nous sur la route. Des cris d’enfans et des chants de buveurs arrivaient à nos oreilles. Une journée qui avait été brûlante touchait à son terme. J’écoutais ces bruits tout en regardant un soleil qui se retirait pour laisser régner à sa place une charmante nuit que, depuis la prairie jusqu’aux montagnes, toute la nature semblait saluer comme une aimable souveraine. Peut-être une légère mélancolie m’aurait-elle envahi sans l’heure du dîner qui réunit autour d’une table d’auberge une des meilleures compagnies où je me sois jamais trouvé. Quelques-uns de ces officiers étrangers, qui viennent tous les ans nous demander l’hospitalité du bivouac, s’étaient joints à nous et mêlaient à notre gaieté l’enjouement plus contenu de leur pays. Notre repas se prolongea sans que l’ennui vînt un seul instant effaroucher les légères pensées qui voltigeaient à travers la fumée de nos pipes. Vers dix heures, nous rentrions sous la tente, et le lendemain, aux premières lueurs du jour, nous poursuivions notre route.

Jusqu’à Aumale, ce fut une seine de gracieux paysages. Nous cheminions sur des crêtes d’où par momens nous apercevions Alger, qui semblait nous poursuivre de sa blanche apparition. À Aumale, nos plaisirs devaient changer de nature. La campagne dépouillée qui entoure cette ville aux maisons uniformes et correctement alignées rappelle certaines parties fort durement qualifiées de la Champagne bien plutôt que les merveilles du Sahara. Elle ne dit rien à l’imagination ; mais là où se taisait le langage qui jusqu’alors nous avait charmés, nous allions entendre de nouveaux accens. Nous devions rencontrer à Aumale un de ces régimens que nous avions hâte de joindre. Depuis deux jours, le 11e léger, commandé par le colonel Thomas, était campé dans ces lieux, où notre course allait prendre avec l’allure de l’expédition son véritable caractère.

Je ne puis pas dire avec quel plaisir j’entendis la marche du 11e léger le jour où je quittai Aumale. On avait abattu les tentes à trois heures et demie du matin ; on se mettait en route avant même que l’aurore eût achevé sa riante toilette. Un air un peu vif, un vent presque piquant aiguillonnaient dans notre cervelle la troupe allègre des pensées matinales. Rien ne pouvait mieux répondre aux mouvemens joyeux de nos cœurs que le bruit de fanfares et de tambours