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renferment pour nombre de gens aujourd’hui les souvenirs, les illusions, les tendresses, tout ce qui compose enfin le vrai trésor des grandes cités.


III

Je devais du reste revoir la France. Je retrouvai Paris dans sa floraison de tous les hivers. Je découvris à cette passion de ma jeunesse, à cette reine de mes souvenirs mille charmes secrets et nouveaux : rien d’étonnant à cela. René lui-même eût déposé dans cette ville, qu’il a si durement traitée, l’éternel fardeau de son ennui, si, au lieu de ces courses désordonnées à travers ce monde, il eût fait quelques campagnes régulières dans les rangs d’un honnête régiment. Toutefois, après quelques semaines données au foyer, je repris d’un cœur résigné le chemin de l’Afrique. Si Paris est le pays de l’hiver, l’Afrique est le pays du printemps. La guerre y renaît avec la verdure. « La riante aurore est déjà debout sur la cime des montagnes, » dit Shakspeare dans son Roméo. Mettez la guerre à la place de l’aurore, et vous aurez une phrase que tous les printemps on peut répéter en Algérie. C’était bien dans les montagnes que nos armes devaient se porter ; seulement, au lieu de nous diriger vers ce qu’on appelle la Grande-Kabylie, nous allions chez des tribus qui pour la plupart n’avaient pas encore aperçu l’uniforme français. Peu m’importe, je l’avoue, l’endroit où l’on me conduit. Je me mis en route avec bonheur, persuadé qu’on ne peut faire qu’un noble et profitable voyage, quand on marche en compagnie de notre drapeau.

Ce fut le 1er mai que je m’acheminai vers Sétif, où le gouverneur avait fixé la réunion des troupes expéditionnaires. Le général Randon et une partie de son état-major devaient s’embarquer et gagner Sétif par Bougie. Quelques officiers, entre lesquels j’étais, avaient reçu l’ordre de prendre la route de terre avec les chevaux et les bagages. Je ne hais point ces sortes de corvées. Au début des expéditions surtout, il n’est pas de route qui ne soit joyeuse. Je partis donc, aussi content à peu près qu’on puisse l’être en ce monde. J’avais d’aimables compagnons et un ciel propice, mes chevaux étaient en bonne santé. J’étais pénétré de cette pensée, que je savourais une heure agréable de ma vie. Dès le soir, nous couchions sous la tente. Quand on se met en route, il faut dire adieu aux toits le plus tôt possible ; c’est, du reste, ce que l’on a hâte de faire. La tente est certainement un des asiles les plus commodes et les plus naturels de l’homme ; elle n’insulte point par sa durée à la brièveté de nos jours ; elle est en harmonie avec ce que nos destins ont d’errant et de passager ; elle ne nous prêche pas, comme les lourdes demeures bâties