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de Lagouath. Aïn-Maidi a été prise autrefois par Abd-el-Kader, et ne s’est pas relevée des coups que l’émir lui a portés. Cependant des hommes naissent et meurent dans ces trous embrasés où le ciel n’envoie pas assez d’air pour faire vivre un liseron ou une marguerite. À certaine heure, des fusils pourraient encore sortir de ces décombres ; il y a des gens pour qui cet îlot de pierres blanches perdu dans un océan de sables est une patrie.

Douze jours après notre pèlerinage d’Aïn-Maidi, nous rentrions dans le Tell. Nous retrouvions les rivières, les ombrages, le pays qu’habitent les esprits de la terre. Nos dernières journées de désert furent consacrées à la chasse aux gazelles. C’est un grand plaisir de lancer les chevaux dans des courses éperdues, à la poursuite, de ces êtres aériens qui semblent possédés par des âmes de fée. La chair des gazettes est excellente, et les Arabes prétendent qu’elle fait rêver. Peut-être ont-ils raison ; ces charmantes bêtes ont des yeux pleins de mystères comme les songes. Il est fâcheux qu’elles éveillent dans les cœurs le démon de la chasse, car il y a quelque chose qui s’afflige en nous quand ces tendres regards s’éteignent, quand le sang coule de ces corps gracieux et légers.

Dans le Tell, plus de gazelles, plus de chameaux, plus d’espaces démesurés et de courses sans frein ; on rentre dans le domaine ordinaire de la vie. Cependant, même après les enchantemens du désert, je vis avec bonheur les attraits de certains paysages. Cette forêt de cèdres qui entoure Teniet-el-Had était parée, au moment où je la traversai, d’un charme incroyable de printemps. Nous étions aux derniers jours de décembre, et un ciel bleu, illuminé d’un sourire clément, se montrait à travers la chevelure des arbres. Je me rappelle l’ombre de mon cheval se projetant sur un sentier couvert d’un voluptueux gazon ; je songeais à ces scènes moscovites de notre campagne à son début, à cette neige meurtrière comme du plomb, à ces nuages lugubres comme des suaires, à ces vents furieux, à cette terre glacée, et je me sentais pénétré de reconnaissance pour celui qui nous avait rendu cette lumière, cette fraîcheur, toutes les douces merveilles de cet Eden.

Le 1er janvier commença pour nous au camp. Ce fut au bivouac que notre petite troupe fêta les premières heures de la nouvelle année. Le soir, après une longue journée de marche, nous sentions la brise de la mer et nous apercevions une ville, une vraie ville, d’où sortait un bruit de voitures, où rayonnaient des lumières, où circulait la vie européenne : nous voyions apparaître Alger. Peut-être aurais-je mieux aimé une autre apparition en revenant de Lagouath ; mais il ne faut pas médire d’Alger dans l’armée d’Afrique, car ces lieux, où plusieurs générations françaises se sont déjà succédé,