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Le général Pélissier était monte à cheval pour aller visiter les ambulances, et il m’avait permis de me joindre à son cortège. Je passai devant le marabout qui dominait la colline où l’action s’était si vivement engagée. Je regardai avec une curiosité pieuse ces murailles qui me semblaient devoir frémir encore de la vie passionnée que la guerre avait déchaînée autour d’elles. Un lourd soleil tombait sur ces pierres qui n’avaient gardé que l’inerte empreinte des balles. Parfois, à certaines heures, des objets inanimés se dressent impassibles dans le tourbillon des existences humaines, et prennent alors une sorte de mystérieuse grandeur. Un officier m’a raconté une profonde et bien naturelle émotion qu’il avait eue dans ce marabout, devenu, en un instant, le théâtre de scènes dont on garde à jamais le souvenir. Ses yeux avaient rencontré, sur un de ces murs auxquels s’est adossé plus d’un mourant, une inscription musulmane rappelant aux hommes la vanité de leurs efforts et la brièveté de leurs jours. J’ai lu moi-même cette inscription, que je regrette de ne pouvoir transcrire ; elle s’est effacée de mon esprit comme bien d’autres leçons du destin.

Devant le marabout s’étendait la brèche, vaste plaie encore béante, voie où l’on avait effacé le sang, mais qui avait gardé l’empreinte de la mort. Au milieu de ces débris faits par le canon se montrait une ouverture fermée par une grosse pierre, où tombait une lumière ardente. Dans ce trou étaient ensevelis quatre de nos morts. L’armée avait assisté toute entière à l’héroïque sépulture pratiquée sur cette route lugubre et triomphale. Jamais tombe ne m’a plus ému que ce sépulcre guerrier perdu sous le ciel du désert. J’ai presque envié ceux qui gisaient dans cette fosse si humble et si glorieuse, si touchante et si grossière. J’ai souvent revu, dans ma pensée, ce tombeau de la brèche, toujours en joignant son image à des idées de calme intrépide et de paix bienheureuse.

Mais bientôt la brèche est franchie, nous voici dans la ville même. Nous pénétrons dans des rues étroites, bordées de maisons qui ont toutes souffert. Parfois, sur des seuils dévastés, nous apercevons de vrais fantômes. Ce sont des femmes, qui lancent sur nous, de leurs yeux où l’épouvante a tari les larmes, des regards maintenant sans espoir comme sans terreur ; ce sont quelques enfans étonnés qui se croient peut-être les jouets de songes funestes ; ce sont des vieillards qui, suivant l’expression judaïque, ont l’air de chercher leurs tombes ; ce sont enfin, ça et là, quelques hommes accroupis, couverts de sordides haillons, qui paraissent avoir abdiqué en même temps leur raison et leur énergie. C’est bien là un peuple vaincu aux premiers jours de sa défaite. On sent des gens que vient de frapper le glaive des colères divines. Ils n’appartiennent plus à cette terre d’où