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du Rummel coulent sous des arbres désordonnés qui se penchent vers elles comme pris de vertige. L’âne était suivi par un homme vêtu à la manière de Jacob et d’Abraham. Je croyais que ce rêve fait si souvent par chacun de nous d’être transporté au sein d’une de ces époques où vit continuellement notre pensée venait de s’accomplir pour moi. Je respirais le parfum des œuvres sacrées, remplissant toute l’étendue d’une vaste contrée et non plus les pages d’un livre. Constantine m’a toujours paru une ville sainte, en comparaison surtout d’Alger, où l’on sentira éternellement comme le souvenir d’une volupté de pirate. Constantine se tient, comme un anachorète, sur un de ces rochers dont l’idée se lie, je ne sais trop pourquoi, à celle de la prière. Les souffles des mers ne font point circuler dans ses campagnes les molles langueurs. Le sol dépouillé qui l’entoure ne doit sa splendeur qu’à la pourpre dont il se revêt chaque soir et à la majesté de ses lignes. Mais tout récemment notre conquête s’est accrue d’une ville entourée d’un pays plus austère encore et moins souvent exploré que les campagnes de Constantine. J’ai hâte d’arriver à Lagouath.

La première pensée dont on est agité quand on met le pied sur le sol d’Afrique, c’est la pensée du désert. Peu de gens meurent sans avoir contemplé la mer ou les montagnes, mais il n’est donné qu’à un petit nombre d’aller saluer le désert, et il n’est pas d’imagination qui ne soit tourmentée par ce suprême mystère de la création. Notre esprit n’admet point de vastes espaces où rien ne se meut. Dans ces solitudes apparentes qui semblent repousser notre vie, où l’on dirait que l’homme et la terre ont divorcé, notre âme cherche une vie surhumaine. On se représente le désert comme le palais d’un hôte invisible, comme une région qui nous prépare aux pays où la mort doit nous conduire. C’était ainsi du moins que je voyais avec le regard du rêve la contrée que mes yeux ont entrevue, et j’ai trouvé que mes songes ne m’avaient point trompé.

L’automne dernier, une colonne commandée dans le sud par le général Yusuf eut de brillans combats qui l’amenèrent jusque sous les murs de Lagouath. Là nos troupes s’arrêtèrent. Toute une population fanatique était enfermée dans des murailles entourées presque sur tous les points de palmiers. Un siège était devenu nécessaire, et l’exemple encore récent de Zaatcha montrait ce qu’à certaines heures les milices musulmanes, défendues par les pierres de leurs maisons et par les arbres de leurs jardins, exaltées par le cri du sol, inspirées par le démon du foyer, peuvent opposer de résistance désespérée à la valeur même de nos soldats. Un corps d’armée, conduit par le général Pélissier venait rejoindre la colonne du général Yusuf. Le gouverneur de l’Algérie, le général Randon, voulut ôter à une victoire