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Comme tous ceux qui ont vécu en Afrique, je me suis bien vite familiarisé avec les pics sombres, les plaines brûlées, et ce ciel mobile où l’on dirait tantôt que l’on célèbre les noces du soleil, tantôt que l’on pleure la mort du Sauveur. Cependant, aux premiers jours de ma vie dans des régions toutes nouvelles, l’image de la patrie me traversait souvent le cerveau. Je me rappelle une matinée entre autres, où, au pied d’un de ces aloës que je ne sais quel régiment de ligne prit pour de gigantesques asperges, je sentis sous mon front tout rempli de cette maladive tendresse ce regard du pays qui me semblait rayonner d’une prunelle bleu-pâle comme le ciel de la Champagne ou de la Brie. J’avais devant moi les collines de Mustapha. J’étais dans ces environs d’Alger où je comprends que se soit amollie la race mauresque. Ces mystérieuses maisons de l’Orient, qui ont toutes l’air de cacher un paradis, me souriaient à travers des arbres dont je ne savais point les noms. Toutes ces grâces de la nature et des hommes étaient pour moi choses perdues. J’étais envahi par cette tristesse des contrées étrangères qu’on seul courir à certaines heures sur les terres les plus parées comme le vent sur les bruyères. Heureusement, ce qui m’avait soutenu était toujours là Ce fut dans ce paysage aux chagrines rêveries que je vis passer pour la première fois un cavalier du régiment où j’allais entrer. Un mois après mon arrivée à Alger, j’étais brigadier de spahis, et j’espère n’avoir pas donné au ciel d’Afrique ce spectacle insolite pour tous les cieux, d’un mélancolique brigadier.

J’ai promis de laisser de côté tout ce qui n’avait trait qu’à mon cœur ; j’ai donc beaucoup à laisser. Les plus récens de mes souvenirs sont ceux sur lesquels j’insisterai le plus. Je ne raconterai point les courses en pays connus que j’ai faites dans la province d’Alger et dans celle de Constantine. Constantine cependant, quoiqu’on l’ait peinte maintes fois, est un bien attrayant sujet de tableau. De ses rochers où elle est assise comme une forteresse féodale, elle frappe au loin l’imagination des voyageurs. Il semble que derrière ses murailles il y ait quelque emprinse à accomplir, comme on disait aux temps chevaleresques. L’armée française l’a faite du reste, la tâche héroïque à laquelle Constantine nous conviait. Devant la porte Valée, à l’entrée d’un ravin, quatre murs de briques, dépassés, je crois, par quelques têtes de figuier, enferment de modestes tombes. Là reposent ceux qui donnèrent, il y a quelques années, une ville de plus à la Flance. Le sol de Constantine me semble devoir particulièrement convenir au sommeil des morts. Il y a quelque chose de solennel dans cette terre ; c’est par excellence la région biblique.

Je me rappelle un âne gravissant à quatre heures un petit sentier le long d’une côte pierreuse, non loin d’un de ces abîmes où les eaux