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duchesse de Kendal et à lord Townshend, qui étaient du voyage. Il revit Harcourt et Wyndham, apprit d’eux beaucoup de choses sur l’intérieur de leur parti, et bientôt il eut un entretien avec Walpole. Il lui peignit les chefs des partis tory et jacobite comme fort découragés et disposés à imiter l’exemple de Harcourt. C’était s’offrir indirectement pour intermédiaire d’un rapprochement qui semblait désirable ; mais Walpole craignait plus les rivaux que les adversaires. Il fit rarement des sacrifices pour regagner ses ennemis, et, jaloux de son pouvoir, il aimait mieux reléguer les ambitieux dans l’opposition que les introduire dans son parti. Il ne se souciait pas de rendre de l’importance à Bolingbroke. Il l’écouta froidement et lui conseilla, puisque sa réhabilitation dépendait d’un parlement whig, de ne pas renouer avec les tories.

Bolingbroke vit bien que pour cette fois il n’avait rien à gagner du côté de la politique. Il jouit quelques jours de l’accueil des amis que la littérature lui avait donnés. Il ne vit pourtant pas Swift, qui ne sortait pas de l’Irlande, et Prior était mort ; mais Gay lui dédia ses églogues. Pope, qui l’avait connu peu de temps avant son départ, fut heureux de le revoir au moment où il perdait Atterbury, et de le retrouver devenu philosophe sur les affaires de ce monde. Le docteur Arbuthnot prononça qu’il avait gagné en instruction, en manières, en toute chose. Peu curieux cependant de rester dans un pays où il ne retrouvait qu’une position précaire et diminuée, Bolingbroke repartit pour aller se guérir de la goutte aux eaux d’Aix-la-Chapelle.

On dit qu’il voulait de là pousser jusqu’en Hanovre. Il en demanda la permission, mais ne l’obtint pas. Il tourna donc ses vues d’un autre côté. La mort du régent amenait au pouvoir M. Je Duc, avec le titre de premier ministre, et Mme de Prie était toute puissante sur cet héritier des Condé. Bolingbroke les connaissait l’un et l’autre et prétendait à quelque crédit. Dans ce moment, une lutte secrète opposait dans le cabinet anglais les deux secrétaires d’état l’un à l’autre, lord Carteret à lord Townshend. Walpole soutenait Townshend, son beau-frère, et, par suite de quelques intrigues dont le détail est sans intérêt, Carteret et Townshend étaient représentés tous deux à la cour de France, l’un par sir Luke Schaub, l’autre par Horace Walpole. Bolingbroke, qui vit bien où était la force, offrit à ce dernier son crédit, ses relations, ses moyens d’intrigue. Il offrit d’entretenir avec le cabinet de Saint-James une correspondance secrète, fit valoir son zèle et sa dextérité, enfin se rendit utile. Horace, qui ne l’aimait pas, se servit de lui et le servit peu, mais finit par triompher et devint ambassadeur en France, tandis que Carteret allait gouverner l’Irlande et faisait place au duc de Newcastle (1724). Persuadé qu’il devait être mieux en cour, Bolingbroke fit alors repartir pour Londres celle qu’il