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médiocrement riche en idées, qui s’est fait un bon style d’académie, correct et soutenu, orné, élégant, mais sans aucunes qualités supérieures. Ainsi que beaucoup d’esprits cultivés de ce temps, presque toutes ses pensées lui viennent de l’antiquité. Dés qu’il écrit, il raisonne et parait sentir comme un Romain ; mais quand il agit, c’est autre chose. Lord Mahon a dit avec sévérité qu’en parlant comme Cicéron, il se conduisait comme Clodius. On pourrait ajouter, sous un autre rapport, qu’aux pensées de Sénèque il unissait la vie de Pétrone. On entrevoit dans ses lettres que, s’il se consolait de l’exil par le stoïcisme, il ne négligeait pas de s’en distraire par le plaisir.

Les mémoires du temps parlent à peine de son séjour en France. On sait seulement qu’il avait des relations intimes avec les Tencins et leur société. La plupart de ses lettres françaises sont adressées à M. de Ferriol, la mère de D’Argental. On n’a aucune de celles qu’il dut écrire à sa sœur, Mme de Tencin. Il connut cette aimable Aïssé qu’une fantaisie tout orientale d’un frère de M. de Ferriol avait élevée pour une étrange destination. On ne voit pas qu’avant 1722 il eût connu, Voltaire, qui était lié dès le collége avec D’Argental, et dans une lettre écrite peu après le succès d’Œdipe (1719), il en parle comme un indifférent : « Je vous serai très obligé, ma chère madame (de Ferriol), de la lecture que vous voulez bien me procurer de la tragédie de M. Arouet. Si je n’avais pas entendu parler avec éloge de cette pièce, je ne laisserais pas d’avoir une grande impatience de la lire. Celui qui débute, en chaussant le cothurne, par jouter contre un tel original que M. Corneille fait une entreprise fort hardie, et peut-être plus sensée qu’on ne le pense communément. Je ne doute pas qu’on n’ait appliqué à M. Arouet ce que M. Corneille met dans la bouche du Cid. » A défaut de Voltaire, il fit connaissance avec l’abbé Alary, un homme instruit, d’une conversation agréable, qui, après avoir été attaché à l’éducation de Louis XV, entra à l’Académie française (1723), et n’en forma pas moins, un an après, une autre sorte d’académie, plus politique que littéraire, connue sous le nom de l’Entresol. Celle-ci tenait en effet ses séances chez lui, dans un entresol de la place Vendôme. C’était à la fois un club où l’on trouvait des rafraîchissemens et des journaux, et une société de droit public dont les membres composaient des mémoires, faisaient des lectures, discutaient des questions. Il s’y rencontrait des écrivains, des magistrats, jusqu’à des grands seigneurs : le marquis d’Argenson, qui a été ministre, l’abbé de Saint-Pierre, dont le nom est si connu. Cette réunion dura jusqu’en 1731, quoiqu’elle donnât un peu d’ombrage au cardinal de Fleury. Bolingbroke, qui y était admis sans en être membre, avait été pour quelque chose dans la fondation d’un établissement conçu, disait-on, dans les idées anglaises. On ajoute qu’il composa en français,