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avec l’innocence et l’honneur ? Dans ses apologies, il n’en essaie aucune. Il affirme seulement qu’il n’a jamais trahi, et raconte comme la chose la plus simple du monde que, défenseur officiel, dix mois avant, de la royauté protestante, il l’ait, dix mois plus tard, menacée de guerre civile. Il semble ne s’absoudre d’avoir conspiré qu’en montrant complaisamment à quel point la conspiration était ridicule.

Dans les premiers temps de son séjour à Paris, il prit un ton de confiance et de colère. Il ferait repentir le gouvernement qui l’avait proscrit : il était plus puissant en France qu’en Angleterre, il n’avait rien à ménager ; c’était aux whigs de craindre. Cependant de nombreux mécomptes l’attendaient. Le roi de France se mourait. Un appui public n’avait jamais pu être espéré. Même en secret, on ne voulait point donner de troupes régulières. On avait avancé un peu d’argent, on en promettait encore ainsi que des munitions ; mais l’affaire demeurait en suspens, comme toutes les affaires. Il était probable que le futur régent changerait la politique du cabinet. Tout le trésor de Saint-Germain, où la veuve de Jacques II continuait de tenir sa cour, avait été épuisé pour préparer au Havre un petit armement. Cela n’empêchait pas que des fanatiques, des aventuriers et des intrigans ne formassent mille projets, en annonçant des prodiges. Tout ce monde parlait, se remuait, dirigeait ; c’était une cohue de ministres [mob ministry). Bolingbroke, qui l’appelle ainsi, eut beaucoup de peine à prendre un peu d’autorité. Il ne doutait pas que lord Stair, dont il connaissait la vigilance et la pénétration, ne fut parfaitement au courant de ces menées et de ces préparatifs. Lord Stair effectivement savait tout cela et autre chose ; nous avons des fragmens de son journal, et voici ce qu’il y écrit : « Mercredi 24 juillet. — J’aposte un homme pour observer lord Bolingbroke. — Samedi 27. — Saladin, un Genevois, m’a dit l’histoire de l’amour de Bolingbroke avec Mme Tencin, et sa rencontre avec le prétendant sur la route. » On lit, dans la correspondance d’un successeur de lord Stair, que cette femme intrigante livrait à Torcy les secrets de son amant ; mais cet amant n’était pas aisé à tromper. « J’ai eu des relations il y a quelque temps, écrivait-il au roi Jacques, avec une femme qui a autant d’ambition et de ruse qu’aucune femme, peut-être qu’aucun homme que j’aie connu. Depuis mon retour à Paris, sous prétexte d’intérêt pour ma personne, elle a souvent tâché de découvrir à quel point j’étais engagé à votre service, et si quelque entreprise se préparait… Ces jours derniers, elle est revenue à la charge avec toute la dextérité possible, et elle a usé de tous les avantages que son sexe lui donne. J’ai feint de lui ouvrir mon cœur, et, suivant ce que j’ai écrit à votre majesté de mes conventions avec Talon (Torcy), je lui ai fait entrevoir l’impossibilité de rien tenter pour votre service.