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Voilà certes un portrait où il n’y a pas de malveillance, et il y en a même si peu, que Mme d’Épinay ne parle pas de la figure de Mme d’Houdetot. Ce n’était pas en effet par la figure qu’elle plaisait, Rousseau nous l’a déjà dit : c’était par sa grâce et par son amabilité[1]. Il y a encore aujourd’hui dans le monde des personnes qui ont vu Mme d’Houdetot à Eaubonne avec M. de Saint-Lambert et avec M. d’Houdetot, avec son amant et avec son mari. J’ai recueilli ça et là leurs témoignages[2], et je les rassemble comme ils sont restés dans ma mémoire, sans chercher à les grouper, n’ayant d’autre intention que d’achever le portrait de Mme d’Houdetot, et de faire mieux connaître celle qui inspira à Rousseau une passion d’autant plus vive, qu’il ne parvint jamais à la faire partager et qu’il en fit seul les frais, ce qui s’arrangeait du reste fort bien avec son genre de passion ou d’imagination.

Ce qui faisait vraiment le charme de Mme d’Houdetot, c’est qu’elle avait, comme le dit si bien Mme d’Épinay, une jolie âme, c’est-à-dire, une âme gracieuse et naïve, honnête, comme le dit encore Mme d’Épinay, non pas de cette honnêteté qui fait aimer ou suivre le devoir, mais de cette honnêteté qui consiste à ne déguiser aucun de ses sentimens, de cette honnêteté qui faisait que Mme d’Houdetot était ivre de joie du départ de son mari et désespérée du départ de son amant. À ce genre d’honnêteté, ôtez la naïveté qu’y mettait Mme d’Houdetot ; ôtez l’excuse que faisaient la facilité des mœurs du siècle, les usages singuliers du monde, l’insouciance des maris ou l’embarras même qu’ils avaient d’aimer leurs femmes ; ôtez ces excuses, et cette honnêteté touchera à l’effronterie du vice. Il n’en était rien, et si je ne

  1. Dans ses Anecdotes pour servir de suite aux Mémoires de Mme d’Épinay, Mme la vicomtesse d’Allard, qui, plus jeune que Mme d’Houdetot, avait pourtant beaucoup vécu dans sa société, dit « que ce sera une consolation pour les femmes laides d’apprendre que Mme d’Houdetot, qui l’était beaucoup, a du à son esprit et surtout à son charmant caractère d’être si parfaitement et si constamment aimée ; elle avait non-seulement la vue basse et les yeux ronds, comme le dit Rousseau, mais elle était extrêmement louche. ce qui empêchait que son âme ne se peignit dans sa physionomie ; son front était très bas, son nez gros ; la petite vérole avait laissé une teinte jaune dans tous ses creux, et les pores étaient marqués de brun : cela donnait un air sale à son teint, qui, je crois, était beau avant cette maladie. » Je crois bien que ce portrait, fait par une jeune femme qui se souvient d’une vieille, sans pitié et sans prévoyance, ne représente pas Mme d’Houdetot telle qu’elle était dans sa jeunesse et telle que Rousseau la vit à l’Ermitage : Mme d’Allard exagère un pou la laideur de Mme d’Houdetot pour mieux faire ressortir son esprit et son charmant caractère ; car c’est la ce dont Mme d’Allard, comme tous ceux qui avaient vécu dans la société de Mme d’Houdetot, avait gardé le plus de souvenir.
  2. Parmi ces témoignages, celui qui m’a été le plus utile et qui m’est le plus cher est celui de M. Hochet, mon bon et affectueux parent, un de ces hommes d’esprit que les affaires enlèvent aux lettres, qui honorent les affaires par leur intelligence et par leurs succès, mais qui se retournent toujours avec amour vers les lettres, et font de l’étude le délassement de leurs travaux et l’ornement de leur bonheur.