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demanda à mourir en gladiateur, ce qui était une sorte d’immolation religieuse et volontaire. J’ai eu beaucoup de plaisir à causer avec un peintre homme d’esprit et avec l’auteur de la statue. Je sympathise fort dans son admiration pour Tencrani, que j’ai eu à Rome le chagrin de voir trop immolé à Thorwaldsen, à la mode parmi les Anglais parce qu’il était Scandinave.

Enfin, pour terminer cette journée sérieuse, employée à la manière d’une journée aux États-Unis, j’ai vu un pénitencier qui m’a paru assez bien tenu ; mais ce qui là était un des intérêts principaux du voyage, l’organisation des établissemens d’utilité publique, est ici un intérêt assez secondaire. Ce qu’il faut venir voir au Mexique, ce sont les grands tableaux de la nature, dont j’ai cherché à esquisser quelques traits, et les antiquités ; mais avant d’aller étudier celles-ci au musée de Mexico, j’ai voulu visiter le sénat et la chambre des représentans.

La salle où se rassemblent les sénateurs est une bonbonnière, que j’ai trouvée à peu près vide. Dans la salle des représentans, on discutait, et il y avait quelques personnes dans la galerie publique. Au-dessus de la tête du président est une image de Notre-Dame de Guadalupe, et devant lui, sur le bureau, un crucifix. Il y a deux tribunes, l’une à gauche et l’autre à droite, apparemment pour que les orateurs aient moins de chemin à faire et leur épargner la fatigue de traverser la salle. Voilà du républicanisme bien méridional, cela seul ferait douter que les Mexicains soient très propres à cette forme de gouvernement ; ce qui parait évident, c’est que jusqu’ici elle n’a produit que des alternatives d’anarchie et de, despotisme, ce qui est la pire des conditions pour un peuple. C’est aujourd’hui le tour de l’anarchie, l’année prochaine ce sera celui du despotisme ; puis l’anarchie reviendra.

Rieu ne peut approcher de la désorganisation de cette société. Les Mexicains ont adopté une constitution modelée sur celle des États-Unis, ce qui était très déraisonnable, car rien ne se ressemble moins que les citoyens des États-Unis et les habitans du Mexique. La masse de la population est indienne, et la population d’origine espagnole n’a nullement cette énergie, cette activité, cette habitude de compter sur soi-même, sans laquelle la république n’est pas possible. De plus, chaque état est à peu près indépendant, de sorte qu’il n’y a nulle autorité dans le gouvernement, nulle union dans le pays. Deux généraux viennent de déclarer de leur chef la franchise de deux ports situés dans les provinces où ils commandent. Le journal qui relate ce fait y ajoute une réflexion trop vraie : « Rien n’est dans son centre, tout est détraqué (desquisiado), et notre existence politique est un phénomène effrayant. » Là où personne n’obéit, l’impôt rentre mal ou est gaspillé par l’administration. Ce qu’il y a de certain, c’est que les