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chacune possède des fondations qu’a rendues démesurées la diminution graduelle de ceux pour qui on les avait instituées. Les moines de Mexico, malgré toutes les révolutions, sont encore trop riches ; le meilleur emploi qu’ils fassent de leur argent est de le prêter à 6 pour 100, ce qui est d’une véritable utilité dans un pays où le taux ordinaire du prêt est beaucoup plus élevé, mais ce qui est peu en harmonie avec leur vocation et avec les doctrines de l’église catholique, si peu favorable au placement à intérêt, dans lequel elle a toujours eu beaucoup de peine à ne pas voir une usure déguisée.

Pendant le carême, les spectacles sont fermés à Mexico ; mais nous allons avoir un concert au grand théâtre. Je verrai du moins la salle et le public. La salle est loin d’avoir le brillant aspect de celle de La Havane ; le carême empêche qu’elle soit remplie. On fume au parterre. De temps à autre, j’entends un petit bruit sec : c’est le frottement d’une allumette destinée à allumer un cigare. En Hollande, on fume dans les couloirs du théâtre, et à Séville des prêtres savouraient devant moi la cigarette dans la sacristie de la cathédrale ; mais fumer en plein parterre, c’est ce que je n’ai vu qu’à Mexico. On nous annonce une chanteuse qui vient de Californie. Le concert n’aura lieu que lorsque les robes de Mme *** seront arrivées ; elles se trouvent maintenant entre Vera-Cruz et Mexico, et il faut bien qu’elles arrivent, car elles sont annoncées sur l’affiche. Les toilettes successives de Mme *** y figurent aussi bien que les morceaux qu’elle doit chanter.

En attendant, on raconte son histoire. Mme *** est Française. Les parens d’un jeune homme qui l’aimait imaginèrent d’envoyer leur fils en Californie pour le guérir de son amour. Il y avait consenti et attendait à Bordeaux le moment de s’embarquer. Sur ces entrefaites, Mme *** était venue chanter sur le théâtre de Bordeaux ; le vent se trouvant contraire, le jeune homme alla un matin voir Mme ***. Le résultat fut que le soir, au lieu de paraître sur le théâtre, elle était avec lui embarquée pour la Californie. Le bateau à vapeur envoyé à leur poursuite arriva tout juste pour voir cingler vers la pleine mer le navire qui les emportait. Voilà un petit roman californien assez agréable, et qui, comme tout roman bien conduit, s’est terminé par un mariage.

Les autres plaisirs de Mexico sont le jeu et les combats de coqs. Je n’ai pas cherché à être témoin de ce cruel passe-temps, que les Mexicains aiment avec passion. Quant au jeu, je n’ai nulle envie de perdre mon argent au monte, ne voulant point avoir recours à la ressource dont parfois ont usé, m’assure-t-on, des jeunes gens de Mexico qui, se trouvant à sec, sortaient d’un salon et allaient arrêter un passant dans la rue, puis rentraient et continuaient leur partie avec les sommes qu’ils s’étaient ainsi procurées.