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couchers de soleil dont je jouis presque tous les soirs, en suivant, à l’heure de la promenade, une grande allée qui est aux portes de Mexico.

Le ciel est parfaitement pur, non pas de ce bleu foncé qu’on admire en Italie, mais d’un bleu délicat d’une extrême suavité. Les grands vallons élèvent sous ce ciel leurs sommets d’une étincelante blancheur qui devient graduellement une blancheur dorée. À gauche sont des montagnes d’un ton gris cendré très doux ; à droite, d’autres montagnes d’un bleu mat ; le ciel prend ces teintes vertes, fleur de pêcher, si rares dans nos climats, mais fréquentes sous les tropiques, et qu’a si bien décrites Bernardin de Saint-Pierre. Les cônes neigeux semblent reposer sur une pyramide violette qui s’éclaire et s’empourpre aux splendeurs du couchant. Pendant que je contemple ces métamorphoses de la lumière, j’écoute la cloche d’un couvent et le cri égaré d’un petit oiseau. La plaine est parfaitement uniforme de ton, simple et sévère. : c’est la campagne de Rome, bordée par des cimes qui ressemblent à ce qu’on imagine de l’Himalaya. Mais, nouvel incident survenu dans le magique spectacle, voici que la base de la montagne est devenue d’un gris tirant sur le bleu ; les sommets sont roses, Puis ce rose, au moment de son plus vif éclat, pâlit soudainement ; les nuages ont conservé le leur et semblent un reflet céleste des cimes terrestres qui se décolorent. Le Popocatepetl résiste plus longtemps ; enfin il blêmit, et son cratère neigeux n’offre plus qu’un blanc mat remplacé bientôt par la teinte presque livide que prennent en Suisse les glaciers quand le soleil a disparu. L’aspect de cette neige terne, après l’éblouissement que produisent les derniers jeux de la lumière, est profondément triste : c’est un brusque passage de ce que la vie a de plus brillant à ce que la mort a de plus sombre.

Près de ce lieu si imposant, je trouve un souvenir assez grotesque de la France. Dans une petite île entourée d’une eau croupissante est un misérable bouchon sur lequel le propriétaire, qui ne peut être qu’un compatriote et qui doit être un philosophe, a mis pompeusement pour enseigne : la isla de Jean-Jacques Rousseau (l’île de Jean-Jacques Rousseau). — L’eau des fossés est couverte d’une végétation si serrée, que l’on a peine à la distinguer de la verdure du sol. Hier j’ai manqué y mettre le pied comme sur un terrain solide. Cela fait comprendre l’existence des chinampas, ou prairies flottantes, sur le lac de Chalco, dont parlent les historiens de la conquête, que M. de Humboldt a encore vues, et qu’on me dit ne plus exister.

Dans l’intérieur de Mexico est une autre promenade nommée l’Alameda. Toutes les villes en Espagne ont leur alameda. Ce nom si gracieux, et qu’on serait tenté de prendre pour un nom arabe, a cependant