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L’aspect de Mexico ne frappe pas d’abord autant qu’on s’y attendait. La ville a une physionomie moins caractérisée, moins marquée du vieux type espagnol que Puebla ; mais quand on a parcouru les longues et larges rues qui traversent Mexico dans toute son étendue, en voyant sur sa route s’élever les dômes colorés des couvens et des églises, on commence à ressentir le charme de cette singulière et lointaine cité, à laquelle on arrive du climat brûlant de Vera-Cruz en montant de zone en zone l’échelle des végétations successives, et qui, à la hauteur de l’hospice du mont Saint-Bernard, jouit d’un ciel délicieusement tempéré. Ce soir, la nuit est admirable ; les vastes rues de Mexico sont blanchies par la lune ; la grande place parait immense. De deux côtés, elle est bordée de portiques ; en face de moi, la cathédrale s’élève derrière une rangée d’arbres, sur remplacement de l’ancien temple mexicain ; le palais du président et des deux chambres se prolonge à ma droite comme une longue bande blanche. Malheureusement tous ces édifices, y compris la cathédrale et le palais, ne sont pas assez élevés pour l’étendue de la place, l’une des plus spacieuses et des plus régulières qu’il y ait au monde. Ce qui en fait le charme à cette heure, c’est la grandeur de l’espace céleste que le regard embrasse, c’est cette coupole d’un bleu si pur et si doux, qui semble s’appuyer de toutes parts sur un carré de marbre blanc, et au sommet de laquelle la lune est suspendue comme une lampe d’albâtre à une tente d’azur. Dès neuf heures du soir, la place est vide, les rues sont désertes. Peu de piétons les traversent ; quelques voitures roulent dans l’éloignement et rappellent qu’on est dans une capitale, capitale endormie et muette, qui semble se recueillir dans les souvenirs de son passé et se préparer aux soucis de son avenir, car sur cette place ont défilé vainqueurs ces hommes entreprenans du nord, qui en savent maintenant le chemin et qui y reviendront.


2 mars.

Après avoir entrevu hier Mexico aux approches du soir et au clair de lune, j’ai erré aujourd’hui dans les rues et les faubourgs. Au sein de cette ville espagnole, comparativement ancienne, je retrouve la régularité à laquelle m’avaient accoutumé les cités neuves des États-Unis. Presque toutes les rues se coupent à angle droit, comme les rues de New-York, ou de Philadelphie. Chose étrange, cette symétrie, caractère des villes qu’on bâtit aujourd’hui de toutes pièces dans l’Amérique du Nord, parce qu’on n’est gêné par aucun débris du passé, comme on aligne les sillons d’un champ nouvellement défriché, cette symétrie est ici un legs de l’ancienne civilisation aztèque[1] !

  1. Aztèques était le nom que se donnaient les populations qui occupaient Mexico et gouvernaient une partie du Mexique à l’arrivée de Cortez.