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assez grande distance pour ne rien empêcher, et arrivent au grand galop tout juste pour voir les voleurs s’enfuir après avoir fait leur coup. Cependant il est bon d’avoir une escorte, car ceux qui la composent s’entendent souvent avec les brigands : ils leur font comprendre qu’il ne faut pas toujours arrêter les voyageurs qu’ils sont censés protéger, sans quoi on ne se ferait plus escorter, et quand on les refuse, ils avertissent les voleurs que cette fois il n’y a rien à ménager.

Vera-Gruz, quand on y arrive par mer, n’a point le triste aspect que lui prêtait mon imagination qui l’associait à ce terrible vomito, lequel, avec le norte toujours en perspective pendant la traversée et les brigands aux aguets sur la route de Mexico, fait le fond de toutes les conversations qu’on peut avoir avec ceux qui sont allés au Mexique. Vera-Gruz est une ville régulièrement bâtie. Les rues sont assez larges, bordées souvent d’arcades ; la propreté y est entretenue par de petits vautours noirs qu’on y rencontre à chaque pas, et qui rendent ici les mêmes services qu’en Égypte, en faisant disparaître les immondices. Leurs pattes sont garnies de plumes et ils trottinent dans les rues comme un homme qui aurait des manchettes aux jambes. Ils se perchent sur le toit des maisons, vivant en paix, ce me semble, avec tous les oiseaux, car j’ai vu des hirondelles voleter familièrement et sans crainte autour d’eux. Ils n’aiment que la corruption : il y a des gens qui ont le même goût que ces vautours.

C’est ici que Cortez toucha pour la première fois la terre du Mexique. À quelques lieues du point où est aujourd’hui Vera-Cruz, il jeta les fondemens d’une ville qu’il nomma la Ville riche de la Croix, résumant dans cette dénomination expressive les deux sentimens qui poussaient ses compagnons aux aventures : la soif de l’or et l’enthousiasme religieux. En changeant un peu de place, la cité actuelle n’a gardé que la partie la plus noble de son nom.

Au sortir de Vera-Cruz, on trouve des sables entremêlés de marécages dont l’aspect est triste et fiévreux autant que possible. Pour traverser ces sables la voiture est mise sur un chemin de fer, ce que l’on reconnaît à ce qu’on avance plus lentement : puis on reprend la route, et huit mules vous emportent au grand galop, avec mille secousses, à travers de grandes prairies qui font penser à la campagne de Rome et à la prairie des États-Unis. La nuit était étouffante et humide ; tout à coup, au milieu de la solitude, les sons de la guitare se sont fait entendre ; -nous nous sommes arrêtés devant un rancho : on appelle ainsi les demeures des Indiens. Les ranchos sont formés de roseaux juxtaposés, ce qui les fait ressembler assez à des cages à poulets. Devant le rancho, on dansait en l’honneur du carnaval qui allait finir. J’avais un peu oublié le mardi-gras ; c’était lui que je retrouvais