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cette ovation était un exilé de Cuba. Or que répondait M. Soulé au discours qui lui était adressé ? Il répondait par les plus ardentes protestations en faveur de tous les opprimés de l’ancien continent, en y ajoutant qu’il était du devoir d’un citoyen et d’un ministre américain de leur venir en aide. Quant à Cuba même, les allusions étaient assez transparentes. Voici donc le représentant des États-Unis transformé en une sorte d’agent de propagande américaine en Europe ! Maintenant la question est de savoir comment l’Espagne entendra qu’on pratique chez elle cette propagande, et surtout à l’égard de Cuba. Les manifestations de M. Soulé pourront devenir pour lui un singulier embarras à Madrid ; quand le gouvernement espagnol refuserait de le recevoir, comme on le lui conseillait ces derniers jours, comment ne serait-il pas approuvé par les autres cabinets agissant dans un sentiment de solidarité élevée ? Si les instructions données à M. Soulé étaient conformes aux paroles qu’il a prononcées à New-York, il faudrait évidemment s’attendre à des complications nouvelles. Ces complications fussent-elles écartées d’ailleurs, on voit quelles perspectives ouvre l’ambition de la politique américaine.

Chose étrange ! les États-Unis tint la grande prétention d’écarter l’Europe du règlement des graves questions qui peuvent s’élever sur le continent américain. Ils considèrent comme une usurpation, non-seulement une occupation territoriale, mais encore le moindre acte d’influence. On peut se souvenir de toutes les discussions qui ont eu lieu, il y a quelques mois, à ce sujet dans le sénat de Washington ; C’est cependant avec ce sentiment si étrangement développé et si exclusif de leurs propres droits et de leurs prérogatives que les États-Unis prétendent intervenir dans les affaires de l’ancien monde. C’est ainsi que l’Europe se trouve aujourd’hui entre ces deux menaces redoutables, — l’une venant de la Russie, l’autre venant du côté de l’Atlantique.


CH. DE MAZADE.