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mouvement industriel juste et légitime qui est dans l’ordre de la civilisation, parce qu’il est le fruit du travail, parce qu’il n’exclut ni la conscience ni la rectitude, parce que même, quand il n’arrive pas au succès, il reste sérieux et honnête ; et il y en a un autre dont la spéculation est le premier but, dont le jeu est l’aliment, et qui en réalité n’est que la corruption du premier. Les projets, les plans, les combinaisons ne sont pour lui que des moyens de tenter la fortune sous toutes les formes. C’est contre cette ardeur fiévreuse et factice que la sévérité morale serait nécessaire ; elle serait nécessaire surtout dans un temps d’industrie et de commerce, pour épurer et assainir cet ensemble d’intérêts et d’entreprises dont le mouvement forme le progrès matériel de notre siècle.

Un des infaillibles moyens de préparer une voie où l’instinct moral s’équilibrera plus justement avec l’instinct de tous les progrès et de toutes les facilités qu’on peut demander à la vie matérielle, ce sera toujours l’éducation publique. C’est ce qui fait qu’il s’attache une si souveraine importance à tout ce qui touche à l’instruction publique, à sa direction, aux réformes qui peuvent en modifier l’organisation ou le sens. On comprend qu’on tient par là dans sa main l’instrument par lequel les générations se transforment, et la vie, intellectuelle prend un nouveau cours. Bien des choses d’ailleurs sont nécessaires pour que cet instrument atteigne complètement son but : il n’y a pas seulement des questions de méthodes et de programmes, il y a tout ce qui constitue en quelque sorte le régime intérieur de l’éducation publique ; il y a les rapports du maître avec l’élève, il y a ces mille conditions pratiques de l’enseignement qui concourent toutes au même objet. Aux réformes qu’il a déjà réalisées dans ces matières si délicates, le gouvernement vient d’en ajouter une qui certes a son intérêt et son prix sous l’apparence d’une mesure secondaire : il vient, par un décret récent, de transformer entièrement la situation des maîtres d’étude, dans les lycées. On sait ce que sont le plus souvent aujourd’hui ces sortes de maîtres. N’ayant point de place dans la hiérarchie universitaire, dépourvus de tout caractère sérieux et par suite de toute autorité, ils se trouvent pour ainsi dire pris entre les autres professeurs, qui ne les estiment point comme leurs égaux, et les élèves, qui ne les respectent pas. Ce sont des espèces d’agens vulgaires proposés à une certaine discipline extérieure qu’ils sont fort impuissants à maintenir. Et cependant c’est peut-être là le maître dont le choix est le plus digne d’attention, parce qu’il est en rapport presque permanent avec l’enfant, parce qu’en dehors des cours il peut exercer une influence de tous les instans. Cette influence n’existe point aujourd’hui, et c’est là justement ce qu’il y a d’anormale En s’exerçant elle peut être bonne ou funeste, et c’est ce qui doit dicter des choix plus prudens. M. le ministre de l’instruction publique a supprimé les maîtres d’étude, pour les remplacer par des maîtres répétiteurs qui sont eux-mêmes des auxiliaires du professorat ordinaire et des aspirans aux fonctions plus élevées de l’enseignement. Non-seulement les nouveaux maîtres mit leur mission habituelle de discipline, mais ils ont encore leur part dans l’enseignement en coopérant au service des répétitions, des conférences ; en suppléant parfois aussi les professeurs. La condition des maîtres d’étude se trouve évidemment relevée par cette mesure pleine de sollicitude. On a bien