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plus du côté gauche de la figure et l’œil gauche du côté droit : d’où ce principe qu’il faut être borgne pour bien voir une miniature. Pourtant, tel passionné amateur qu’on soit d’une belle miniature de Fragonard, on se contente de fermer un œil.

2° Passons à un tableau vu à petite distance, comme un portrait, un tableau de chevalet, ne comprenant qu’un seul plan. Le même artifice et la même invraisemblance y subsisteront, quoique avec moins d’inconvéniens, à cause de la distance plus grande que celle où l’on voit la miniature. Ainsi les fuyans dont la sensation est moins nette seront rendus par les ombres, qui diminuent aussi, mais autrement, la sensation. Les parties antérieures du tableau devront être touchées confusément, mais très claires ; confusément, parce que l’œil, en se fixant sur la partie principale du tableau, ne doit point percevoir nettement les parties antérieures qui sont trop près de lui, et cependant ces parties, par cela seul qu’elles sont plus voisines de l’œil, doivent être tout à fait claires. Le plan principal du tableau doit être bien éclairé et peint avec une extrême netteté, puisque l’œil est censé s’y arrêter et le discerner au mieux. Enfin, ce qui fera le fond du tableau sera peint un peu obscur et surtout un peu confus, à peu près comme le devant, mais cependant un peu moins, à cause de la distance qui varie comparativement moins ; car, par exemple, la variation d’un mètre sur une distance de trois mètres, qui sera, je suppose, la distance des objets antérieurs du tableau au spectateur, sera bien plus considérable que la même variation d’un mètre sur la distance des objets du fond du tableau, supposés à dix mètres du spectateur. Dans le premier cas, la variation est de un mètre pour trois, c’est-à-dire ; un tiers, et dans le second cas, c’est un mètre pour dix, ou un dixième.

3° Portons nos yeux sur un beau paysage de Berghem avec des objets antérieurs comme repoussoirs, avec un plan principal au-delà de ces premiers objets, enfin avec un fond terminé par un horizon lointain. Nous y reconnaîtrons l’application de notre théorie tout entière.

Les objets situés en avant, les repoussoirs mal vus par l’œil, qui doit être censé fixé sur le plan principal du tableau, sont peints confus, et de plus, clairs et grands, car ils sont vus de près. Les objets du plan principal du tableau sont moyennement éclairés, mais surtout ils sont reproduits très nettement, puisqu’ils sont à la vraie portée de l’œil. Plus loin, la confusion, recommence, puisque l’œil, qui s’est ajusté pour la perception des objets du plan principal, ne l’est pas pour ces objets plus lointains. De plus, ils seront moins clairs et rapetisses par la position. Enfin les grands lointains du fond seront bleuis fortement par la distance, si le ciel est pur ; et s’il est vaporeux, ces lointains seront éteints dans un gris blanchâtre qui laissera voir l’air interposé, en pâlissant les objets situés derrière cette partie d’atmosphère nébuleuse ou brumeuse.

Remarquons que, relativement aux objets qui sont au-delà du plan principal, plusieurs peintres ont pris le rapetissement sensible qui commence alors pour une plus grande netteté, et qu’au lieu de peindre là les objets un peu diminués, un peu moins brillans, et beaucoup moins distincts, ils les ont faits distincts et petits plutôt que de les faire seulement amoindris en dimensions.

Tels sont les principes d’optique applicables en général à la composition artistique. Ils ne sont nullement l’art, mais l’art ne peut pas les heurter sans s’écarter de la nature. Aller contre ces principes, c’est faire quelque chose de