Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1024

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien transparente, en un mot là où il n’y a point d’air, les effets attribués à l’air dans la perspective dite aérienne s’observent tout à fait de la même manière que dans l’air libre et pur.

Avant d’aller plus loin, remarquons que toutes les parties de nos connaissances qui s’appuient sur la double base de deux sciences différentes sont toujours celles qui sont en retard. Chaque esprit d’un ordre supérieur s’attache à une branche bien définie et la fait avancer. Rarement deux branches sont assez bien connues d’un même individu pour que les notions de l’une servent à l’avancement de l’autre. C’est principalement pourtant à de telles alliances que sont dus les progrès des arts de nos jours. La mécanique, en empruntant à la physique la force élastique de la vapeur, a fait les locomotives ; en lui empruntant l’électricité, elle a fait les télégraphes électriques. Quels emprunts l’art de guérir n’a-t-il pas faits à la chimie dans les médicamens, sans compter les agens qui suppriment la douleur ! Il y a plus de quatre cents ans aujourd’hui que l’art de la guerre a amené sur les champs de bataille un agent physico-chimique explosif, tandis que cette semaine même les grands sceaux de l’état pour le règne de Napoléon III avec l’aigle et les attributs les plus délicats, ont été faits de toutes pièces par la galvanoplastie électrique, qui a formé avec un bain liquide les plaques solides de cuivre et d’argent qui portent ces empreintes artistiques corrigées et recorrigées plusieurs fois.

C’est donc au nom de l’optique, bien plus qu’au nom des arts du dessin, que nous nous hasarderons à donner une théorie des effets artistiques très réels que l’on attribue à la cause, très imaginaire de l’interposition de l’air, dite perspective aérienne. Mais n’y a-t-il donc pas de véritable perspective aérienne ? C’est une question que mais n’avons fait qu’indiquer en parlant du stéréoscope[1] ; nous voudrions nous y arrêter aujourd’hui.

Lorsque du sommet d’une éminence on regarde une chaîne d’autres hauteurs fort éloignées de celle où l’observateur est placé, l’imparfaite transparence de l’air, qui est bleu, éteint toute autre couleur envoyée par les objets distans, et ces sommets lointains sont fortement bleuis par l’interposition de l’air. C’est surtout sous le beau ciel de Naples ou sous celui de Rome, qui n’a point d’égal au monde pour la perfection des observations astronomiques, que les lointains deviennent très bleus, comme l’atmosphère elle-même. Lorsque les conquêtes d’Italie eurent amené à Paris les tableaux de Raphaël, on s’étonnait de l’azur intense de ses ciels, et avec la confiance qu’inspire une longue habitude de sa propre infaillibilité, plus d’un maître de l’art français inclinait plutôt à douter du bleu du ciel d’Italie qu’à douter de l’universalité de la teinte bleu-pâle du ciel de Paris. Mais redisons ici que si plusieurs kilomètres d’air interposé donnent une partie de leur teinte aux rayons qui les traversent, quelques dizaines de mètres ne font absolument aucun effet. Dans plusieurs des tableaux de Claude Lorrain, dans plusieurs des fabriques dont le poussin a enrichi ses compositions, on voit des effets de vraie perspective aérienne pour les lointains, mais jamais rien de pareil pour les objets rapprochés du premier plan.

  1. Voyez la livraison du 15 juillet.