Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/995

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans des proportions assez étroites, celles de la liberté de la presse, qu’on ne tarda pas à dégager de la censure préventive, mais à laquelle on ne reconnaissait pas le droit d’attaquer les dépositaires du pouvoir et qui voyait suspendue sur elle la menace permanente de la prison, des amendes ruineuses, du pilori, même du gibet, les conséquences de la responsabilité ministérielle sur les rapports des ministres avec le souverain, la force, l’autorité qu’ils doivent y puiser, l’indépendance des juges, toutes ces questions et d’autres encore dont la solution nous semble aujourd’hui la base essentielle et indispensable d’une constitution libre étaient alors enveloppées d’un véritable nuage. Ni la nation, ni le roi qu’elle s’était donné n’en comprenaient la portée.

Pour bien apprécier le rôle que Guillaume III joua en Angleterre, il est nécessaire de se rendre un compte exact de la position tout à fait extraordinaire qu’il occupait en Hollande et en Europe et du caractère singulier, des qualités étranges et diverses qui lui assignent une place à part entre les plus grands hommes de tous les temps.

D’autres ont parcouru une carrière plus éclatante, ont obtenu, soit à la guerre, soit dans la politique, des succès plus brillans, plus immédiats, plus propres à frapper les imaginations : aucun peut-être n’a atteint en réalité d’aussi grands résultats et n’a laissé dans l’histoire des traces aussi durables. Né dans une condition presque privée et au milieu de circonstances qui rendaient singulièrement difficile pour lui l’accès des fonctions publiques, appelé néanmoins, presque au sortir de l’enfance, au gouvernement d’une république que la France et l’Angleterre coalisées menaçaient alors d’effacer du nombre des états libres, Guillaume sut, à force de dévouement, de constance, d’habileté, la sauver de cet immense péril et la maintenir, malgré l’infériorité de ses forces, au rang des puissances prépondérantes. Plus tard, il eut la singulière fortune de rétablir les libertés, d’affermir, de perfectionner la constitution de l’Angleterre et de jeter les bases de sa prospérité future. Placé ainsi à la tête de deux peuples libres, il fit servir cette grande position à l’accomplissement d’une œuvre plus grande encore, — la défense de l’équilibre politique et de l’indépendance de l’Europe contre la prépotence de Louis XIV, qui semblait alors sur le point de réaliser la monarchie universelle.

Ce sont là sans doute de glorieux résultats, mais il ne fut pas donné à Guillaume, dans le cours d’une existence abrégée par les fatigues et les chagrins, de pouvoir jouir de ses triomphes ni même en constater lui-même l’étendue et la réalité. Sauf la délivrance des Provinces-Unies qu’au début de sa carrière il avait arrachées des mains victorieuses de Louis XIV, en les engageant, il est vrai, dans un système de politique extérieure qui préparait leur décadence, il put