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tel homme, a scandalisé notre génération était le procédé habituel des ministres et des dignitaires de la cour de Guillaume III dès qu’ils éprouvaient le moindre mécontentement. Pour ne citer que quelques-uns des plus illustres, il est parfaitement avéré que l’amiral Russell, le vainqueur de La Hogue, lord Marlborough, le futur vainqueur de Blenheim, lord Godolphin, dont la carrière ministérielle devait plus tard avoir tant d’éclat, ont été, sous Guillaume III, à des époques diverses, en relations secrètes avec Jacques II. D’après certains indices, on pourrait croire que quelques-uns d’entre eux, avant de former ces relations, s’étaient munis de l’autorisation de Guillaume, à qui ils servaient ainsi d’espions. Je ne pense pas qu’on trouve dans cette circonstance, en la supposant prouvée, une justification morale de leur conduite. Je ne pense pas non plus qu’on puisse se prévaloir, pour excuser les jacobites qui prêtaient serment à Guillaume avec l’intention de ne pas lui être fidèles, de la permission que Jacques II leur en avait donnée : une telle permission formellement accordée par un roi détrôné qui ne renonçait pas à revendiquer sa couronne n’était autre chose qu’une invitation à trahir le pouvoir nouveau, et les jacobites scrupuleux ne l’acceptèrent pas.

À défaut des sentimens de droiture et de haute probité dont on ne trouve aucune trace à cette triste époque, et qui, à vrai dire, sont toujours une exception dans les régions de la politique, une forte organisation des partis, telle qu’elle existe aujourd’hui en Angleterre, est un lien puissant qui suffit en général pour maintenir les hommes publics dans la ligne du devoir et de l’honneur. Malheureusement il n’y avait alors rien de pareil en Angleterre. Cette habile et persistante aristocratie, qui a fait depuis la gloire et la puissance du pays, n’était pas constituée encore. Ceci a besoin de quelques explications pour ne pas sembler paradoxal. Sans doute, dès cette époque et longtemps auparavant, la chambre des lords réunissait dans son sein les plus grands noms et les plus grandes existences du royaume ; la chambre des communes se composait, beaucoup plus exclusivement même que de nos jours, des grands propriétaires des comtés, de ceux qui, sans jouir comme les lords d’une fortune princière, étaient pourtant en mesure, par leurs possessions territoriales, d’exercer une influence considérable sur la population. C’étaient bien là, à divers degrés, des aristocrates ; il y avait bien là tous les élémens d’une aristocratie politique, mais on peut dire qu’elle n’existait pas encore en réalité. Les grands seigneurs, au lieu de se rallier sous la bannière de quelques hommes éminens par le talent ou par le caractère pour maintenir ou faire triompher quelque grand principe, se laissaient aller d’ordinaire à l’impulsion de leurs intérêts personnels les plus étroits, de leurs ressentimens, de leurs jalousies, de leurs rancunes, et changeaient à chaque instant d’alliances et de direction.