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qui n’avaient voulu d’abord qu’opposer une digue à l’arbitraire se trouvèrent, comme il arrive toujours en pareil cas, conduits par la force des choses bien au-delà de leur pensée première. Le trône fut déclaré vacant, et Guillaume III, à qui la majorité de la nation anglaise n’eût voulu conférer qu’une sorte de régence, mais qui n’était pas homme à s’en contenter, se vit investi du pouvoir royal, dont les conditions, mieux déterminées et désormais établies sur un pacte formel, cessèrent d’être une menace pour les libertés publiques.

C’est là ce que les Anglais appellent aujourd’hui la glorieuse révolution de 1688, ce que tous les partis proclament comme l’ère et le principe de la force de la prospérité et de la grandeur du pays : mais on se tromperait beaucoup, si l’on croyait que cette révolution, justifiée, illustrée, purifiée en quelque sorte aux yeux de la postérité par ses heureuses conséquences, se présentât aux contemporains sous l’aspect où nous la voyons maintenant. Accomplie à l’aide d’un prince étranger et d’une armée étrangère, elle froissait en beaucoup de points les sentimens, les croyances, les affections d’une partie considérable de la nation, et l’ordre de choses qui commençait ainsi, malgré les grandes destinées qui lui étaient réservées dans un avenir inconnu, ne pouvait exciter ces transports de joie, ces élans d’espérance et de confiance illimitées qui accueillent souvent des révolutions éphémères, dépourvues de toute vitalité, mais plus conformes aux passions du moment.

L’état moral de l’Angleterre était d’ailleurs fort triste à cette époque. Les esprits, fatigués par cinquante années de troubles et de changemens, n’éprouvaient plus ni ces convictions profondes, ni ces attachemens passionnés qui sont la force et l’honneur des partis. Non-seulement les hommes d’état s’étaient habitués à changer d’opinions, à passer d’un camp à l’autre au gré de leurs intérêts mobiles et de leurs passions, pour ne pas dire de leurs susceptibilités et de leurs rancunes, mais la trahison dans sa forme la plus grossière, la plus hideuse, était devenue quelque chose de si ordinaire, qu’il n’est presque pas un personnage considérable de cette époque qui n’en ait été convaincu par les révélations de l’histoire. Et en employant le mot de trahison, je n’entends pas ce qu’on a souvent qualifié de la sorte, dans notre siècle, comparativement bien moins perverti, quoi qu’on en puisse dire ; je n’entends ni la facilité à se rallier au vainqueur après avoir été comblé des faveurs du vaincu, ni même la prompte défection des serviteurs d’un pouvoir qui s’écroule : on voyait bien mieux que cela en Angleterre à l’époque de glorieuse révolution. Pour trouver dans nos récentes annales quelque chose qui y soit analogue, il faut se rappeler le rôle de Fouché, ministre de Napoléon pendant les cent-jours, conspirant à tout événement avec les gouvernemens et les partis qui aspiraient à renverser son maître. Ce qui, de la part d’un