Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
ADELINE PROTAT.

lune faisait paraître presque diaphane. Dans les roseaux qui bordaient la rivière, les rainettes commençaient leur concert nocturne et monotone, et préludaient comme des musiciens qui se donnent l’accord. Les buissons qui clôturaient le jardin et les herbes qui bordaient les allées se constellaient de tremblotantes illuminations de vers luisans. Protat, appelé chez le notaire du pays pour un rendez vous, était sorti à la fin du repas, laissant Lazare avec les deux jeunes femmes. L’artiste et ses deux compagnes demeurèrent pendant quelques minutes sous l’impression que leur causait le calme de cette soirée pacifique. Par discrétion, et pensant que les deux amies pouvaient avoir à causer, Lazare s’était retiré et fumait sur un banc éloigné. La voix de Cécile le rappela bientôt.

— Monsieur, lui dit-elle, il nous arrive de l’autre côté de l’eau une délicieuse odeur de foin. On a fauché la prairie qui est en face. Adeline et moi nous avons envie d’aller nous asseoir sur les meules. Auriez-vous la complaisance de nous passer de l’autre côté ?

Lazare fit entrer les deux femmes dans le bachot, le détacha du pieu où il était amarré et commença à ramer. — Je vous proposerais bien de faire une promenade, leur dit-il ; mais la navigation est très difficile, surtout dans cette partie où la rivière est tellement obstruée par les herbes, que M. Protat assure qu’une anguille pourrait s’y noyer. — Comme pour justifier son dire, au même instant le bachot s’arrêta au milieu des herbages flottans, et Lazare éprouva quelque difficulté à dégager ses avirons embarrassés. — C’est là que Zéphyr a manqué se noyer hier, et moi avec lui, dit-il.

Cécile sentit Adeline tressaillir auprès d’elle. — Quoi ! dit-elle après que Lazare, qu’elle avait interrogé à propos de cet accident, lui eut raconté la tentative de l’apprenti. Si jeune, un enfant presque, il songeait à mourir ! Sait-on quelle raison a pu le pousser à cet acte de désespoir ?

— Zéphyr est un être très singulier et très mystérieux, répondit l’artiste : il ne dit pas ses secrets, même à ses amis.

— Ah ! s’écria Cécile en aidant Adeline à descendre sur le sable fin et blanc où le bachot venait d’aborder, pour un personnage aussi mystérieux, ce monsieur Zéphyr est bien étourdi, et s’il ne dit pas son secret, il aide au moins à le deviner.

— Comment cela ? demanda Lazare étonné.

— Sans doute, continua Cécile, puisqu’il l’écrit. — Et aux vifs rayons de la lune, elle indiqua, du bout de son petit pied, des caractères formés par des cailloux rapprochés les uns des autres de manière à composer très visiblement deux noms : celui de Zéphyr et celui d’Adeline.

— Ma foi, mignonne Adeline, dit Lazare à celle-ci, demeurée toute